Mode masculine

L’homme New Look Retour sur la mode homme de demain

Ils triomphent sur le papier glacé des magazines pour homme, ornent les boutiques de luxe de l’avenue Montaigne, de la rue du Faubourg-Saint Honoré, du Marais comme des adresses plus confidentielles, attirent les curieux, effraient les frileux, passionnent les fashion boys… mais descendent-ils dans la rue ? Ils ? Ces nouveaux styles vestimentaires masculins que l’on voit dans les défilés, sur les podiums, ou repris par les publicités, souvent audacieux, parfois étranges, toujours forts. La question mérite d’être posée : qu’ils soient signés de créateurs imaginatifs ayant osé lancer leur marque ou conçus par des stars bouleversant le classicisme de certaines grandes maisons, ces new- looks ont-ils conquis le mâle parisien ? La folie Gucci, la vague Valentino, la déferlante Prada et le succès de tant d’autres sont-ils une vue de l’esprit des publications spécialisées ou une bouffée d’air frais du vestiaire masculin en passe de se transformer en tempête stylistique déferlant sur la capitale ?

Force est de constater que, grâce à de nouveaux artistes du ciseau, le Paris du prêt-à-porter homme se réveille. Après les années dandy, hipsters, geeks, s’imposent une autre génération de créateurs et le rajeunissement des marques qui attirent. Quand des fashion victim (évidemment consentantes) s’emparent des looks proposés en boutiques, les portent et en parlent, le pari est gagné. Et lorsque, en plus, ces silhouettes finissent par se multiplier dans la rue, portées par des hommes de tous âges et goûts, la mue mode est bel et bien en passe de se concrétiser. Résultat, plus que jamais le Parisien 2017-2018 revendique d’avoir un look à lui. Et, pour son bonheur, il a l’embarras du choix. À lui de jouer, de s’amuser, de se looker. Et à nous de l’y aider.

L’exubérance assumée

Si l’on se promène dans certains quartiers – le Triangle d’or par exemple, la rue du Faubourg-Saint-Honoré aussi, voire le début de la rue des Archives –, difficile d’y échapper. Il suffit de se poser à une terrasse pour voir apparaître deux types de Parisiens dont les vêtements up to date attirent l’attention et constituent autant de professions de foi des maisons qui les ont pensés. Des styles que, d’emblée, le connaisseur sait différencier tant ils sont reconnaissables mais surtout de plus en plus répandus. D’un côté, extraverti, exubérant parfois, il y a l’homme Gucci, un addict féru d’audace prêt à craquer pour chacune des pièces imaginées par le directeur de la création Alessandro Michele, styliste qui a su réinsuffler une énergie incroyable à la marque du groupe Kering. Déculpabilisé par l’imaginaire fécond et iconoclaste de ce talent hors normes, il ose les chemises personnalisables avec serpents brodés, le pantalon orné d’un poisson asiatisant frétillant sur sa jambe, le survêt de ville, le blouson tellement chargé de patchs, brocards qu’il en devient œuvre d’art, le costume à ganses colorées ou carreaux flashy, le manteau magnifiquement taillé au dos orné de motifs savants… Sans oublier les baskets à parements amovibles inattendus (cuir, strass, etc.), les chaussures sur-cloutées et ajourées… Loin du style Gucci d’antan quelque peu compassé, la mode masculine maison joue la carte des surprises, de la différence, de l’over-identitaire. Et ça marche. À croire que le désir de sourire à la mode comme à la vie séduit. Tout aussi visible et fréquent, même s’il est moins uber-looké, apparaît dans les mêmes quartiers l’homme Valentino, adepte d’un registre plus épuré avec un soupçon d’irrévérence qui lui sied bien. Depuis que le créateur romain Pierpaolo Piccioli est seul à la tête de la direction artistique de cette maison, le succès de la griffe italienne s’amplifie. Alors que les sneakers blanches à bandes de couleur horizontales se sont répandues sur les trottoirs, que les clous carrés – signature maison – ornent maints sacs et ceintures vus dans la capitale, que le motif camouflage réintroduit sur des pochettes, des pulls, des doudounes a conquis le macadam, que les costumes ont osé se couvrir de papillons pour rendre la vie de bureau plus légère, la vague du V ne reflue pas. Refusant le dandysme pour lui préférer l’idée qu’un client doit d’abord être “bien dans sa tête”, donc dans son look, mais aussi être soigné comme si on lui offrait du sur-mesure, le prêt-à-porter de Pierpaolo Piccioli, d’esprit tailleur et luxe, ouvre le règne de l’individualité douce. Une synthèse authenticité-vérité où vêtement d’extérieur “affirmatif”, petit pull-over, chemise à plastron, nœud papillon discret sont, cet hiver, autant de gimmicks ajoutés aux archétypes Valentino qui permettront aux aficionados de décoder qui vous êtes.

 

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La sobriété stylée

Faut-il croire que seule l’exubérance vestimentaire aurait droit de cité à Paris ? Évidemment non – et heureusement non penseront sans doute certains. Car, pendant que Gucci et Valentino développent un esprit où le fantasque peut se conjuguer avec l’affirmation de la différence, il existe des maisons, aux collections tout aussi désirables, qui privilégient le classicisme. Mais pas un classicisme boring, vieillot, plutôt une modernité de bon aloi, un registre contemporain malin et intelligemment pensé. Prenons deux exemples aux antipodes, puisque l’un incarne le luxe et appartient à un grand groupe – LVMH – pendant que l’autre est la mise sur orbite d’un créateur inventif ayant perçu ce que souhaite l’homme parisien épanoui. Eh bien, tandis que le Berluti d’aujourd’hui (placé depuis un an entre les mains d’Haider Ackermann) magnifie son ADN fait de cuirs et peaux fabuleux, de cachemires aussi épais, chauds et doux que des couvertures à travers une collection plus moderne, moins empesée ou papy qu’autrefois, la jeune marque Officine Generale, elle, trace son sillon sur un registre pas si éloigné bien que beaucoup plus accessible – et on aime les deux. Pierre Mahéo, le fondateur de cette dernière, professe que l’élégance est affaire de belles matières, mais aussi de coupes, de détails soignés, lesquels permettent à l’homme actuel d’être à son aise et en valeur. À destination de ces messieurs qui aiment avoir un style sans forcer le trait, il a pensé un vestiaire français intemporel. Qui plaît, rassure… sans se ruiner. Son blouson en daim kaki vaut le détour, comme ses vestes bien taillées, son bomber en velours lisse, ses cabans avec cols fourrure… La boutique de Saint-Germain-des-Prés, aux habits confectionnés en Europe dans des tissus anglais, italiens ou japonais, montre combien cet alliage tailoring workswear et militaire est réussi, “honnête et juste”.

 

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Arts graphiques

La masculinité new-look passe, pour certains créateurs – souvent jeunes et indépendants, mais pas uniquement – non par une extravagance surdosée, mais par un style simplifié, dont la contemporanéité se traduit par un côté arty et le goût du sobre. Depuis que Raf Simons est arrivé à la tête du style de Calvin Klein, la maison new-yorkaise renoue avec les référents américains, mais en les intellectualisant, en les épurant et repensant. Le jean prend d’autres formes et longueurs, les chemises osent des coupes militaires avec tons sourds et rabats de poche poitrine contrastés, les pantalons semblent taillés d’une pièce et d’un registre Star Trek quand ce n’est pas quasi sorti d’une panoplie militaire genre guerre de Sécession. C’est la rigueur, en vérité, qui paraît le trait dominant de ses collections. Une épure que, depuis quelque temps, à une autre échelle évidemment, le petit Poucet qu’est Commune de Paris revendique au point d’en faire un manifeste mode. Rebelles du fashion world, les membres de cette entreprise française, parisienne même, travaillent par exemple en collaboration avec Les Graphiquants pour créer des vêtements mariant belles matières (laine, cachemire, satin moleskine, alpaga, etc.) et détails qui se voient (zips, boutons, surpiqûres, matières brutes travaillées) sans se faire remarquer, le tout dessinant un registre jeune. Une bonne humeur que Marchand Drapier, l’insoumission assumée du nom révolutionnaire en moins, défend aussi de son côté. Sans arrogance, avec humilité, cette jeune marque tisse sa toile – une boutique de 180 m2 vient d’ouvrir rue Madame – , générant apaisement des sens et élégance du corps à travers un style où la rigueur de coupe se voit twister par des palettes de couleurs et des imprimés… De quoi donner une “bonne tenue décontractée” aux hommes qui aiment s’habiller sans sembler déguisés.

 

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Look design et technique

Si l’on poursuit le panorama des marques nouvelles ou réinventées qui font souffler un vent de fashion fraîcheur sur la scène parisienne, il ne faut pas oublier une autre tendance forte. Celle des adeptes du look technic que peuvent incarner Lanvin (bien que son directeur artistique de talent, Lucas Ossendrijver, défende cette spécificité depuis douze ans et donc ne puisse apparaître comme un nouveau venu) ou, à une échelle plus modeste mais tout aussi originale et brillante, la récente maison Éclectic. Cette jeune signature, qui a ouvert une boutique rue Marbeuf en plus de son show-room de la rue Charlot, défend elle aussi le mix confort/style/matières techno. Vestes, manteaux et sacs pour homme doivent, selon cette société parisienne créée par Franck Malègue, réussir l’alchimie entre une construction artisanale et des matières high-tech. Lignes simples et efficaces, tissus souvent issus de l’activwear, c’est l’homme du XXIe siècle qu’Éclectic invite et invente. En recourant aux fibres techniques pour aboutir à la forme qu’il estime idéale, le concepteur épure les silhouettes et fait de la veste, du caban, du blazer des objets quasi design. Le slow fashion, ici, devient 2.0 : au nom de la fonctionnalité élégante, de la légèreté stylée, de la durabilité esthétique.

Le sportswear devenu urbain

Et la mode urbaine dans tout cela ? Alors qu’en dix ans nos rues ont vu les baskets et sneakers remplacer quasiment les chaussures de ville, la mode ayant le vent en poupe oublierait-elle de puiser son inspiration dans les vestiaires de stade, l’univers du foot ou le monde du skate ? Évidemment pas, puisque la généralisation des tenues cross-over, celles qui récupèrent pour l’habit urbain les attributs d’ordinaire destinés aux prouesses en salles, poursuit son avancée. Depuis plusieurs saisons, toutes les marques – celles de haut luxe incluses – ont compris cet attrait pour le confort du sport au point, chacune, de vendre des sneakers, de les marier à des costumes sages voire de transformer les pantalons de survêtement en bas de smoking ! Une écriture sportive de la mode quotidienne qui s’est transformée en grammaire urbaine avec laquelle jonglent nouveaux créateurs comme marques de l’avenue Montaigne. Dans le premier cas, citons OAMC, une société fondée par Luke Meier (aussi à la tête de l’homme chez Jil Sander) qui tapisse ses parkas de tissus techniques, marie formel et utilitaire, ajoute des zips, des chaînes, des inspirations course à ses vêtements aussi minimalistes que sportswear intello. Pour le second exemple, prenons Dior Homme, inspiré cette saison par des mondes qu’on aurait cru et dit, autrefois, aux antipodes de son ADN. Dans la collection 2017-2018, le directeur artistique Kris Van Aasche a ainsi multiplié les références aux rave parties, aux gabbers et aux candy boys, bref à l’adolescence en liberté et festive. Avec un registre tailleur près du corps, des points à la main “qui prennent l’envers pour l’endroit”, du noir que des touches de couleur viennent auréoler d’éclat, cet esprit new wave autant que rave évoque souvenirs et jeunesse d’antan, crée une sorte de hardcore HarDior qui montre que, désormais, sartorial et street peuvent se rencontrer, croiser, féconder… Il est vrai que les baby-ravers d’il y a quelques années ont grandi et qu’aujourd’hui, passionnés de mode et dotés d’un fort pouvoir d’achat, ils envahissent la capitale en se lookant chic et griffes “classe”. Dior l’a compris, et n’est pas le seul. Paris bouge, Paris vibre, sa mode change, sa mode se démultiplie. Parce que toutes les envies sont dans la ville, tous les styles arpentent nos rues. Quel bonheur de le savoir et… de le voir.

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Par Thiery Billard. Photo boutique Dior : Adrien Dirand - Publié le

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