Interview

André Dussollier Acteur prolifique et homme secret

De nouveau à l’affiche du théâtre du Rond-Point à partir du 20 septembre avec son magnifique Novecento, la pièce d’Alessandro Baricco qui lui a valu l’an passé le Molière du meilleur acteur de théâtre public, André Dussollier est sans doute l’un des plus prolifiques, des plus attachants, mais aussi l’un des plus secrets comédiens français. Fils unique d’un couple de fonctionnaires savoyards qui le voyait pharmacien ou préfet, comment un homme peut-il tourner le dos à un destin tout tracé pour tenter de se trouver lui-même ?

Dans Novecento, seul en scène avec un orchestre de jazz, vous évoquez la vie de Novecento, pianiste le plus célèbre du monde qui, trouvé bébé sur un paquebot en 1900, refusera toute sa vie de descendre à terre…

Parce que son monde à lui, avec les 88 touches de son piano, lui suffit. Quand on lui propose de descendre de la passerelle pour se mêler au monde réel, il refuse, paniqué par le vaste monde auquel il n’a pas envie être confronté…

Ceux qui vous connaissent bien ne peuvent qu’être frappés par les similitudes de caractère entre vous-même et le personnage de Novecento… plus à l’aise dans votre art que dans la vie réelle…

Il est vrai que je suis plus à l’aise dans mes rôles que dans la vraie vie, ne me sentant pas assez armé pour affronter le réel. Je ne sais pas toujours comment appréhender la réalité, le rapport à l’autre. J’ai besoin d’avoir une situation écrite, une histoire à raconter, parce que dans la vie réelle, j’ai du mal à trouver ma place, mes marques, mes repères. Depuis l’enfance, je me sens décalé, plus souvent spectateur qu’acteur. C’est également la raison pour laquelle j’ai du mal à jouer des personnages proches de moi. Il est des choses de l’enfance qu’on a du mal à dominer.

À quoi ressemblait votre enfance ?

J’ai grandi dans un petit village de Haute-Savoie où mes parents, tous les deux fonctionnaires, travaillaient au Trésor public. Les cinq frères de mon père, à l’exception de l’aîné devenu curé, sont restés paysans et ont continué à cultiver la terre. Mon père était le seul de la fratrie à être descendu de sa montagne pour aller en ville. J’avais également une tante religieuse et j’étais moi-même enfant de chœur. À la maison, on n’exprimait pas plus ses sentiments que l’on n’accordait d’importance à ce que pouvait penser un enfant. Je ne pouvais donc jamais manifester ce que j’étais réellement.

Une enfance qui a dû être plutôt solitaire, propice à la rêverie…

Nous ne fréquentions absolument personne, j’étais fils unique et je n’avais aucun ami. Il faut dire que dans ma classe, nous n’étions que quatre élèves ! Chaque jour, je parcourais seul le kilomètre qui séparait la perception de l’école. De retour chez moi, j’enviais le fils de l’épicier qui, lui, avait le droit de jouer dans la rue. Un jour, j’ai eu la permission de l’inviter à la maison. J’étais tellement heureux d’avoir un copain pour m’amuser que je l’ai enfermé à clé pour ne pas qu’il s’en aille ! Je vivais une réalité solitaire et répétitive alors qu’autour de moi, le monde semblait si riche ! Parce que mon horizon me semblait pauvre et limité, je me suis vite créé un monde imaginaire.

Jusqu’à ce qu’un professeur de français vous donne l’occasion de découvrir le théâtre.

C’est lors d’une représentation de Poil de Carotte à laquelle ce professeur nous avait emmenés que j’ai découvert l’univers du théâtre qui m’a semblé plus vivant que la vraie vie ! Pour la première fois, je voyais des gens, des acteurs rire et pleurer, exprimer leurs émotions, et des spectateurs fascinés… un déclic s’était produit en moi. La vie scolaire ne doit pas être que des bonnes notes, mais un enrichissement personnel, sa propre matière que l’on découvre et dont on va se servir par la suite. Je trouve déplorable qu’aujourd’hui encore, en classe, on accorde aussi peu d’importance à la personnalité et à la créativité de l’enfant.

Avez-vous osé parler de vos nouvelles aspirations à votre famille ?

Non, dès l’âge de dix ans, je me suis dit que j’allais donner aux adultes ce qu’ils attendaient de moi pour avoir la paix. Ne pas dire pour ne pas blesser. Donner à l’autre ce qu’il a envie d’entendre. Pendant des années, ça m’a empêché de vivre. Dire la vérité m’a demandé des années et aujourd’hui je le fais volontiers. Même si la situation peut être désagréable quelques minutes, les choses finissent toujours par s’arranger ! En grandissant, j’ai voulu sortir de ce cocon et me confronter au réel, ce qui ne m’était encore jamais arrivé. J’ai réussi à partir faire mes études à Grenoble, qui pour moi représentait le bout du monde ! Je venais d’obtenir un poste d’assistant de philologie à la fac d’Oran lorsque je me suis décidé à tout lâcher pour venir faire du théâtre à Paris !

Devez-vous au théâtre d’être devenu l’homme que vous êtes aujourd’hui ?

Le théâtre m’a donné l’occasion d’exprimer sur scène une vérité que je ne m’autorisais pas à exprimer dans la vie et, surtout, de trouver ce plaisir d’exister qui me manquait tant. J’avais besoin d’un échange, le métier m’a permis d’avoir l’écoute et l’assentiment des autres et petit à petit, il a envahi toute ma vie. J’ai toujours manqué de confiance en moi, même si, maintenant, je me donne le crédit de pouvoir exister, de proposer et d’initier des projets, autant de plaisirs nouveaux. J’ai désormais l’impression d’être plus proche de moi et de mes envies que je ne l’ai jamais été, même si je suis toujours dans le doute constant.

Pensez-vous avoir enfin atteint une forme de maturité ?

Mais j’ai besoin d’au moins deux ou trois autres vies pour parvenir à la maturité ! J’ai toujours un côté ado et lorsque je joue, je ne me rends pas compte de l’effet produit, mais du plaisir à prendre. Je prolonge le plaisir de rêver ou d’initier. J’aime la sensation de prendre mon temps, la durée et la profondeur. Je me sens un peu comme le lièvre de la fable. Comme la route était toute tracée, j’ai fait l’école buissonnière. J’ai découvert la vie en lignes brisées sur des chemins de traverse. J’ai paressé et butiné.

Pour être, depuis tant de temps, continuellement aspiré par votre vie professionnelle, avez-vous laissé une place à votre propre bonheur ?

Pendant longtemps, mon plaisir n’existait que par le biais de mes rôles. J’ai maintenant envie de m’ancrer davantage dans la réalité, de suivre mes désirs, d’accompagner mes enfants, de voir et recevoir des amis, de satisfaire mes envies et de profiter de l’existence. Bref de prendre du temps pour moi, ce que je ne fais pratiquement jamais…

Vous habitez près du Luxembourg .Comment appréhendez-vous Paris ?

Je me sens toujours comme un éternel provincial à Paris ! Chaque “morceau” de Paris correspond à une période de ma vie. En arrivant, j’ai habité une chambre d’étudiant à Port Royal, avant de passer par la rue de Saussure dans le 17e, puis dans le 13e. Ensuite, je suis resté longtemps dans le 14e arrondissement où j’ai réellement trouvé mon nid. J’ai toujours choisi des quartiers vivants avec des appartements en hauteur, une façon de prendre ses distances avec la ville vue d’en haut ! Je prends souvent mon petit déjeuner à Odéon ou à Montparnasse.

Pour tourner souvent à Paris, avez-vous le souvenir d’appartements ou de lieux inoubliables ?

Pour Adopter un veuf, tourné en juin dernier, nous avons reconstitué, dans le 9e arrondissement, l’hiver en été avec de la neige carbonique en dissimulant soigneusement les arbres en feuilles. Quant aux plus beaux décors de films, ils se tournent dans des appartements qui n’existent pas. Pour Tanguy, on nous avait carrément construit un appartement au-dessus du toit de la Samaritaine !

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Bio Express

Bio Express

  • Naissance à Annecy
  • Devient pensionnaire à la Comédie-Française après un premier prix de conservatoire et débute dans Une belle fille comme moi de François Truffaut
  • Début de sa longue collaboration avec Alain Resnais avec L’Amour à mort
  • Rois Hommes et un couffin de Coline Serreau
  • Mélo d’Alain Resnais
  • César du meilleur second rôle pour Un Cœur en hiver de Claude Sautet
  • César du meilleur acteur pour On connaît la chanson d’Alain Resnais
  • Les Enfants du Marais de Jean Becker
  • Tanguy d’Étienne Chatillez
  • Mon petit doigt m’a dit de Pascal Thomas
  • Ne le dis à personne de Guillaume Canet
  • Les Herbes folles d’Alain Resnais
  • Impardonnables d’André Téchiné
  • Diplomatie de Volker Schlöndorff
  • Molière du meilleur comédien pour Novecento
  • Adopter un veuf de François Desagnat
  • À Fond de Nicolas Benamou
  • Chez nous de Lucas Belvaux
Par Caroline Rochmann. Photos : Stéphanie Slama / Maquillage : Jocelyne Lemery pour Couleur Caramel - Publié le

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