Interview

Blanca Li La plus Parisienne des Espagnoles

À la fois danseuse, chorégraphe, actrice et réalisatrice, Blanca Li investit pour les fêtes de fin d’année la scène du théâtre des Champs-Élysées pour une œuvre de sa création Déesses et Démones qu’elle dansera aux côtés de l’étoile du Bolchoï, Maria Alexandrova. Installée dans la capitale depuis plus de vingt ans, la plus Parisienne des danseuses espagnoles se définit avant tout comme une « gitane nomade ».

 

Blanca, depuis des mois, votre spectacle était annoncé comme un duo avec Marie-Agnès Gillot. Et voici qu’au dernier moment, elle est remplacée par l’étoile du Bolchoï Maria Alexandrova.

Avec Marie-Agnès, nous nous sommes rendues compte que nos emplois du temps étaient très difficiles à accorder. Nous avions à peine commencé à répéter ensemble que je partais au Mexique et à Hong Kong tandis que Marie-Agnès avait des répétitions quotidiennes à l’Opéra de Paris. Comme il nous était impossible de répéter jour et nuit, j’ai eu peur que notre spectacle arrive imparfait au théâtre des Champs-Élysées. D’un commun accord, nous avons décidé de renoncer à notre collaboration.

Marie-Agnès Gillot cède donc la place à l’étoile du Bolchoï Maria Alexandrova…

Ce qui me vaut de recommencer tout à zéro, car je ne peux utiliser avec elle la chorégraphie prévue avec Marie-Agnès ! J’adore les danseuses russes dont le caractère est à la fois différent et très proche de celui des Espagnoles : très fort avec une nette tendance dramatique !

Vous êtes née à Grenade dans une famille de sept enfants.

Où mon père était employé de banque et adorait chanter. Et ma mère danser ! Ma famille était très gaie, très unie et de tempérament artiste. Mon frère jouait de la guitare, mon oncle était poète, et moi j’adorais danser : essentiellement le flamenco ! Jusqu’à l’âge de 12 ans, avec mes frères et sœurs, nous dormions à quatre par chambre. De 12 à 17 ans, nous n’étions plus que deux. À la maison, je n’ai jamais su ce que c’était d’avoir une chambre à moi.

À douze ans, vous intégrez l’équipe nationale espagnole de gymnastique.

Pour finalement la quitter à 15 ans, parce que je trouvais que le côté artistique n’y était pas assez développé. J’avais envie d’aller plus loin, d’inventer des choses. Mais à l’époque, en Espagne, nous n’avions pas d’autre choix que la danse classique qui était beaucoup trop codée pour moi. Si je voulais découvrir la danse contemporaine, il me fallait aller à New York. Ce que j’ai fait à 17 ans pour intégrer l’école de Marta Graham. Quel choc ! Sa danse passionnée me correspondait parfaitement. Je suis restée cinq ans dans son école tout en m’initiant en parallèle au flamenco professionnel.

 

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C’est également à New York que vous rencontrez votre futur mari…

Oui, un Franco-Coréen qui préparait sa thèse de mathématiques à l’université de Columbia. En 1986, avant de nous installer à Paris, nous avons transité par Madrid où j’avais ouvert un bar dans lequel j’avais installé un petit théâtre où je dansais le flamenco tout en montant un spectacle pour l’exposition de Séville. En 1992, nous avons enfin déménagé à Paris où mon mari avait obtenu un poste. Moi, je ne parlais pas un seul mot de français. J’ai alors envoyé une petite vidéo de mon travail dans tous les théâtres et festivals, mais aucun ne m’a répondu !

Et puis, vous poussez la porte d’un cabaret de Pigalle…

Un très joli cabaret, Le Narcisse’, auquel j’ai proposé de louer la salle chaque jeudi pour y organiser une soirée Flamenco avec guitariste et chanteurs. On a commencé à y faire des soirées très drôles, scène ouverte, et le bouche à oreille a très vite fonctionné. Azzedine Alaïa, Jean Paul Gaultier, Martin Margiela, Paco Rabanne ont très rapidement fait partie des clients les plus fidèles et sont devenus des amis. Les deux premiers m’ont d’ailleurs invitée plusieurs fois à venir danser à la fin de leurs défilés ! J’ai continué ces soirées durant des années, mais toujours avec le désir tenace de fonder ma propre compagnie.

Jusqu’à ce qu’en 1993, le succès vous sourit enfin…

Ce fameux été où j’ai loué un théâtre dans le cadre du festival d’Avignon Off pour y présenter mon spectacle de danse créé à Madrid. Nous avons reçu le Prix de la Critique ce qui m’a valu de vendre le spectacle à deux acheteurs. J’étais lancée !

Depuis, vous n’avez cessé d’enchaîner les événements : une mise en scène de Shéhérazade à l’Opéra de Paris, un rôle dans le film Le Code a changé de Danielle Thompson, la création de votre ballet Robot… Une vraie touche-à-tout !

À New York, avec une bande de copains cinéastes, comédiens, couturiers, nous étions tous au service de tout et il m’est resté de cette expérience un grand esprit d’ouverture. J’ai aussi bien fait de la danse classique que du hip-hop, de l’opéra que l’École du cirque !

En tout cas, votre approche de la vie semble extrêmement ludique…

Je suis une grande bosseuse qui s’amuse beaucoup et qui est incapable de travailler dans la douleur. J’ai besoin de générosité autour de moi et je ne peux fonctionner qu’avec des gens que j’aime et qui m’aiment. Quand j’arrive au studio le matin, je suis contente d’être là et je m’interdis toute forme d’agression. Je me sens un peu la maman de mes danseurs. J’ai un esprit de famille très développé !

Un esprit qui se manifeste également dans votre vie personnelle ?

Oh oui ! Nous habitons dans le 9e arrondissement une maison toujours pleine d’amis qui passent, dînent, dorment et où il est bien rare que mon mari et moi, nous nous retrouvions en tête à tête. J’adore ce quartier qui est tellement vivant de jour comme de nuit. Moi qui jusqu’ici me suis toujours considérée comme une gitane nomade, je suis vraiment tombée amoureuse de mon arrondissement ! J’aime aussi beaucoup le village Saint-Paul, où l’on découvre derrière les lourdes portes cochères des choses hallucinantes.

Vous êtes aussi la maman de deux enfants de 9 et 11 ans.

Des enfants qui ont une structure familiale très stable grâce à mon mari qui est toujours présent pour s’en occuper lorsque je suis en déplacement à l’étranger. Et puis, quand je suis là, c’est moi qui les conduit à l’école, qui fais la cuisine et le marché rue Lepic le dimanche matin pour toute la semaine. Mes spectacles ne sont que du bonheur que je désire partager avec les autres. Je ne me sens pas plus star qu’un bon médecin ou un bon serveur !

Bio Express

Bio Express

  • Naissance à Grenade.
  • S’installe à New York.
  • Arrive à Paris.
  • Met en scène deux opéras de Manuel de Falla pour l’Opéra de Nancy.
  • L’Opéra de Paris lui commande la chorégraphie des Indes galantes de Rameau dirigée par William Christie.
  • Création de Shéhérazade à l’Opéra de Paris, costumes de Christian Lacroix.
  • Création du Jardin des délices inspiré d’un tableau de Jérôme Bosch. Rôle dans Le Code a changé de Danielle Thompson.
  • Création de Robot sur l’ultra-mécanisation du monde contemporain, au théâtre des Champs-Élysées.
  • Création de Déesses et Démones au théâtre des Champs-Élysées.
Par Caroline Rochmann. Photos : Nico Bustos - Publié le

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