Grande Table

Jean-François Piège L'intelligence du goût

Si Clover est l’établissement récréation de Jean-François Piège, Le Grand Restaurant – tout juste ouvert dans le 8e arrondissement – s’impose comme son lieu de pure création. Un décor contemporain, une cuisine qui parle aux papilles comme à l’esprit, découverte et rencontre avec un chef qui sait inventer et, à chaque dégustation, éblouir.

Il existe encore des rétrogrades de la toque, des passéistes de la casserole qui prétendent que la cuisine est un art purement manuel, une affaire de technique, pensent qu’un plat réussi, une carte maîtresse sont une simple question de coups de main et de bons produits. Eh bien, rien n’est plus faux quand il s’agit des papes de notre panthéon culinaire parisien. De ceux qui souhaitent conduire leurs hôtes vers les sommets du palais. Pour promettre et offrir à chaque dégustation des émotions gustatives uniques, il convient en effet d’avoir en soi bien plus que de l’expérience, bien mieux que du talent : une intelligence des goûts, l’art d’y penser sans cesse, de se renouveler toujours et d’en discourir au mieux. Jean-François Piège – son nouveau restaurant de la rue d’Aguesseau l’atteste – est bel et bien un intellectuel (au sens non prétentieux du terme) de la Haute Gastronomie. Parce que le plaisir intense que ses créations procurent à chaque regard, à chaque parfum, à chaque bouchée, parce que son talent à raconter ses créations, sont un bonheur, le nouveau lieu qu’il vient d’investir parle autant aux papilles qu’à l’esprit. En quittant sa table, après l’avoir rencontré, on a des étoiles dans les yeux (celles qu’il mérite de recevoir bien sûr), mais aussi le cerveau en éveil, en émotions, en action. On a mangé sain, excellent, différent mais aussi – et surtout – intelligent.

Déjà, ce nouveau « chez lui » n’est pas comme ailleurs ni comme avant. D’abord parce que l’établissement affiche un nom qui promet, amuse mais aussi engage : « Le Grand Restaurant », rien que çà. Voilà qui impose de ne pas se rater et apporte au lieu un décalage humoristique, l’intitulé faisant référence à un film avec Louis de Funès. «Le nom est plus un clin d’oeil au symbole du grand établissement à la française que l’on voit dans le film, adresse où tout est étudié, travaillé, soigné, qu’au côté traditionnel et grandiloquent des plats présentés, sourit Jean-François Piège. Il ne faut pas voir dans ce titre une once de provoc mais un trait d’humour montrant combien il est important de jouer avec les codes pour être soi-même. » Ensuite parce que, enfin, Jean-François Piège est « chez lui ». S’il a fait maintes ouvertures dans sa carrière, il n’était jamais seul aux commandes. Salarié ou avec des associés, il ne bénéficiait pas de la liberté ni de la jouissance de créer qu’il éprouve dans ce lieu 100% Piège, puisque ouvert avec sa femme Elodie. « Etre chez soi permet d’afficher une identité plus forte, d’utiliser mieux le langage de l’excellence, de la vérité, qui m’importe. »

Le Grand Restaurant Jean-François Piège

7 Rue d'Aguesseau, 75008, Paris Tel : 01 53 05 00 00 www.jeanfrancoispiege.com/fr
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Revenu rive droite, à deux pas de l’Elysée, du Bristol et pas loin de Colette – « Je voulais être dans ce périmètre parce que, si les Parisiens de la rive gauche traversent volontiers la Seine, les touristes ou ceux habitant rive droite ne font pas le chemin inverse ; mais aussi parce que cette clientèle pousse à se renouveler, tant elle vient pour vivre quelque chose de fort » –, Jean-François Piège a investi une ancienne pizzeria et tout réaménagé, pensé, maîtrisé, du sol aux murs, vaisselle, déco, logo (avec les M/M), plafond. Avec l’aide d’une amie décoratrice américaine, Gulla Jonsdottir, mais en décidant, au final, lui-même de ce qu’il voulait ou non. Porte d’entrée dont les motifs dessinent un plan de Paris, cuisine ouverte en marbre veiné et inox qui accueille les visiteurs, parois du même marbre ultra moderne, salle en longueur (60 m2 et 22-25 couverts maximum) installée sous une verrière en plaques de verre façon puzzle arty, murs en béton imitant des planches, appliques Baccarat, moquette à effets optiques, tables rondes aux fauteuils confortables, vaisselle savamment choisie… rien n’a été laissé au hasard.  L’équipe de  dix-sept personnes officie avec professionnalisme et une gentillesse non compassée. « C’est une maison de parti-pris, revendique le chef. Un peu comme moi, le restaurant ne laissera pas indifférent. C’est ce que j’aime ».

Les plats sont à l’unisson, eux qui surprennent et emportent au paradis. Le paradis des sens, des émotions, des pensées. « Au Grand Restaurant, tout est cuisiné, a un goût, c’est l’identité française, commente Jean-François Piège. Je propose une cuisine plus directe, non pour me livrer plus qu’avant mais mieux qu’avant. Ici, j’avais envie d’assumer d’être Français, pas au sens cocardier du terme ou par souci de défendre quelque chose, mais poussé par l’envie d’exprimer ma culture. J’ai donc repensé le plat mijoté d’antan, lui insufflant une identité gustative particulière. » Ces « Mijotée moderne » valent le détour. Après avoir savouré en hors d’œuvre – par exemple – une « Pomme soufflée craquante, émulsion de crustacés et caviar », ou de divines « Langoustines juste raidies, avec feuilles (croustillantes) de blé noir et nage de sucs concentrés » (c’est à tomber), enchainer avec un « Ris de veau cuit sur des coques de noix concentré et tête de cèpes » relève de l’expérience rare. On peut aussi, avant cette autre « Mijotée moderne » qu’est le « Homard bleu de Bretagne cuit en feuilles de figuier, mûres épicées, foie gras sauvage », se laisser séduire par le « Gâteau de foie blond selon Lucien Tendret, baigné d’une sauce aux écrevisses » voire par une « Tourte de jeunes oignons doux des Cévennes, pralin et hareng pilé ». Les fromages (de chez Xavier) comme les vins (tous français et sélectionnés par la chef sommelière Caroline Furstoss) sont d’autres must, tandis que les desserts, élaborés avec la chef pâtissière Nina Metayer, constituent une apothéose douce: le chocolat grand cru neige de framboises et les fraises des bois rafraichies d’un Perrier rondelle valent l’essai.

La cuisine, quand elle est réalisée de cette manière est donc bel et bien un art du vrai, une intelligence des saveurs et des sens qui parle au cerveau. Le Grand Restaurant est le temple de la création signée Jean-François Piège. Un temple où les offrandes, c’est au visiteur qu’on les fait. Ce culte-là, comment ne pas s’y adonner sans réserve !

Le Grand restaurant
Le Grand restaurant
Le Grand restaurant
Par Thierry Billard - Publié le
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