Inédite, l’exposition “Yves Saint Laurent aux musées” orchestrée par Madison Cox, président de la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, fête les soixante ans de la création de la maison de ce grand artiste de la mode. Ce parcours dans les collections permanentes de six musées parisiens tisse du lien entre les vêtements du magicien de la haute couture et la peinture, son oxygène dans les affres de la création. Le Centre Pompidou, les musées du Louvre, d’Orsay, d’Art Moderne, le musée national Picasso-Paris, sans oublier le musée Yves Saint Laurent Paris ouvrent un dialogue fascinant entre les sources d’inspiration du créateur et les chefs-d’œuvre qui y sont exposés. Ce jeu de passerelle illustre sa passion dévorante pour l’art et son insatiable tempérament de collectionneur. « Tout homme est obligé pour survivre d’avoir comme dit Nietzche des fantômes esthétiques. La vie n’est possible que grâce à eux. Je pense les avoir trouvés en Mondrian, Picasso, Matisse. Mais aussi et surtout en Proust. Je suis tout à fait éclectique », confiait Yves Saint Laurent en 1990. Au Centre Pompidou, qui accueillit son dernier défilé en 2002, l’écho entre une blouse brodée et le tableau La Blouse roumaine de Matisse (1940), la robe à la poitrine conique (collection Bambara 1967) et la sculpture Objet désagréable à jeter de Giacometti (1931) ou le manteau en plume et organza de Zizi Jeanmaire et les œuvres de Jackson Pollock émerveillent. Les fameuses robes Mondrian (1965), celles hommage à Tom Wesselmann (1966) ou la collection cubiste (1988) rivalisent de splendeur avec les toiles. « Comment aurais-je pu résister au Pop Art qui fût l’expression de ma jeunesse ? » confiait celui qui fut l’ami d’Andy Warhol. De salles monumentales en séquences plus intimes, le musée d’Art Moderne révèle le génie d’Yves Saint Laurent à traduire le plan en volume. Il ne copie pas, ne transpose pas une peinture sur un vêtement, la peinture est intégrée, elle structure le vêtement. Il construit un vocabulaire qu’il explore avec panache et sûreté pour inventer une œuvre paradoxalement homogène mais en perpétuel renouvellement. Raoul Dufy nourrit sa palette, les Jardins de Pierre Bonnard fleurissent blouses et jupes en organza satiné (2001). L’interprétation par Yves Saint Laurent du Déjeuner sur l’herbe d’Alain Jacquet, qui duplique cette œuvre unique en plusieurs exemplaires, annonce le lancement du prêt-à-porter…
Le sacre muséal d’Yves Saint-Laurent
Au Louvre, la galerie d’Apollon honore le savoir-faire des métiers d’art et des artisans de sa maison de haute couture. L’or et la lumière ensoleillent les vestes d’apparat brodées en gazar noir (1990), organza, paillettes, pierres et chenilles (1981) ou parées de cristal de roche (1980). Sublime, le majestueux pendentif Cœur réalisé en 1962 par la maison Scemama, bijou phare présent dans tous ses défilés – strass gris fumé, cabochons en cristal rouge, perles blanches et pâte de verre – est mis en avant. Le maître le plaçait sur son modèle ou son mannequin préféré instituant l’attendu rituel du passage du “cœur” Le musée d’Orsay explore la question du genre à travers les codes vestimentaires masculin/féminin qu’il révolutionna de smokings et costumes d’homme avec une audace visionnaire. Et, interroge au sein du Salon de l’horloge le rôle de la passion proustienne dans son imaginaire avec la présentation de certaines des robes créées par Yves Saint Laurent à l’occasion du Bal Proust donné par le baron et la baronne Guy de Rothschild en décembre 1971 à l’occasion du centenaire de la naissance de l’écrivain. Le musée national Picasso-Paris tient une place particulière tant le maestro, dont Yves Saint Laurent possédait cinq tableaux, eut une influence salvatrice. « Une année, je n’arrivais pas à faire ma collection. C’était un drame, rien ne sortait. Le dimanche, je vais visiter une exposition sur les ballets russes et je découvre les maquettes de costumes que Picasso avait fait pour Le Tricorne de Serge Diaghilev… Le lendemain, j’ai pris un morceau de velours noir, une jupe de velours bleu et j’ai intercalé des panneaux de velours dans le bleu de la jupe. Tout le reste est venu… », affirmait Yves Saint Laurent. Enfin pour conclure ce parcours, au 5 avenue Marceau, le musée Yves Saint Laurent révèle des archives pour la plupart inédites. Croquis, patrons et toiles invitent à ressentir la vie d’une maison de couture. Avec pour fil d’or, ce trait déterminé propre à son génie : « Un bon vêtement c’est un passeport pour le bonheur ! »
Yves Saint Laurent fut le premier couturier à entrer au musée de son vivant, c’était au MET à New York en 1983. L’artiste inventa une garde-robe ourlée d’audace – smoking, costume d’homme – et de liberté – saharienne lacée sur peau nue, blouse transparente. Il créa une allure chic et désinvolte à l’élégance sexy bohème (collection russe) toujours tissée d’un vocabulaire arty. À sa mort en 2008, le magazine Elle, qui accompagna la marche des femmes vers l’émancipation, fit témoigner muses et pairs de son style éternel
Catherine Deneuve
« Nous nous sommes connus si jeunes, nous avons grandi ensemble. Plus qu’une amitié, c’était une sorte d’alliance indéfectible. Nous n’étions pas intimes, mais complices. J’étais venue une première fois rue Spontini, à 22 ans, avec une photo découpée dans Elle d’une robe de la saison précédente dont je souhaitais être vêtue lors d’une présentation à la reine d’Angleterre. Tout le monde était très étonné par ce choix. Pourquoi vouloir une robe en principe déjà ancienne ? Parce que la beauté des créations d’Yves Saint Laurent les plaçait bien au-delà des saisons… Lorsqu’il m’a habillée pour des films – la première fois pour Belle de jour de Buñuel, mais aussi pour La Chamade de Cavalier et La Sirène du Mississippi de Truffaut – nous sommes devenus proches, toujours avec du silence entre nous. Les pièces étaient choisies dans les collections précédentes et adaptées au cinéma. Le tissu surtout changeait. Il lisait le scénario avec beaucoup de minutie et projetait le personnage dans ses vêtements. Ce qui montre bien à quel point Yves Saint Laurent a toujours inventé des vêtements faits pour être portés, même par des êtres imaginaires… »
Carla Bruni-Sarkozy
« J’ai travaillé avec lui jusqu’au dernier défilé. Je l’adorais. Il était un être exquis d’une pure gentillesse. C’était un mélancolique drôle, plein d’humour et de poésie. Lorsqu’il a quitté sa maison il disait que les paradis les plus beaux sont ceux qu’on a perdus. Ça lui ressemble… On se sent dans une certitude quand on porte un vêtement signé Yves Saint Laurent. Non seulement il embellit, mais il protège. Ça tombe parfaitement, toujours. Il créait cette beauté fracassante… La femme qu’il dessinait est toujours là. »
Isabelle Adjani
« Quelle grâce, je n’ai jamais croisé une personnalité aussi puissamment romanesque que lui. Proust aurait rêvé de le suivre et de le réinventer à chaque page… C’était un artiste absolu qui vivait dans la souffrance de la création à vif. On aurait dit qu’il n’avait pas de peau pour protéger ses chairs. »
Jane Birkin
« Il était l’une des personnes à venir dîner rue de Verneuil quand j’habitais avec Serge. Je l’aimais beaucoup. Il était terriblement attachant et terriblement fragile. Sa candeur et sa manière d’être farouche le rendaient encore plus attirant… Les rares fois où je me suis autorisée à être aussi élégante que ma mère c’est en portant du Saint Laurent. Et c’est ce couturier qui m’a permis d’avoir mon style : m’habiller en garçon, être en smoking sans rien renier de ma féminité. »
Laetitia Casta
« Lorsque je suis arrivée à 19 ans face à lui, tête baissée, lui regardait le sol. C’était un grand timide lui aussi. Il a fini par lever la tête, m’a fixée du regard et m’a dit que j’étais belle. C’était la première fois que quelqu’un me le disait. Comme si on s’était reconnus, retrouvés. J’avais envie de lui répondre : Vous aussi ! mais je n’ai pas osé. J’étais troublée, j’ai rougi comme une tomate et mon cœur s’est mis à battre la chamade. C’était le coup de foudre… Il me demandait : Qu’est-ce que tu as envie de porter ? Comme j’étais jeune, je répondais : Je n’en sais rien. Des fleurs ! Du coup, il m’a fait un truc de fou, une robe de mariée entièrement confectionnée avec des fleurs Lemarié qui n’était pas tant une robe qu’une sculpture. »
Heidi Slimane
« J’ai toujours été frappé par l’extrême ambiguïté des tailleurs d’homme. Ils incarnaient le jeu de rôle, l’absence de repères et une forme élégante d’anticonformisme avec aussi ce ton très subtilement parisien. Il y avait là pour moi une liberté, un hédonisme singulier, un mystère au sens
premier du terme. »
Jean Paul Gaultier
« Yves Saint Laurent a établi une vérité essentielle : le couturier n’est pas un faiseur de petits volants, mais un sociologue. Ce fameux tailleur Yves Saint Laurent est un exploit unique en son genre : il ose une masculinité qui souligne l’extrême féminité. Le pantalon libère la femme. La veste lui donne de la force. Il ne s’agit plus de mode mais d’un vêtement politique et érotique. »
John Galliano
« Monsieur Saint Laurent a toujours été un briseur de règles, un rebelle courtois, un génie illuminé. Des safaris aux souks, il était un héros, un visionnaire. Mon héros ! Il mélangeait les genres et les couleurs à la façon d’un Picasso mêlant les pigments sur sa toile… »