Gastronomique

L’ambroisie Shintaro Awa, nouveau gardien du temple

Un Japonais de 39 ans prend les rênes de l’institution de la place des Vosges. Après quinze ans auprès des plus grands – Marcon, Bocuse, Frechon –, Shintaro Awa succède à Bernard Pacaud à L’Ambroisie. Une passation historique où tradition et modernité dialoguent en douceur. Rencontre.

Vous êtes venu en France à 18 ans. Comment avez- vous  fait de la cuisine française votre langue première?

J’ai toujours été fasciné par l’universalité de la cuisine française, servie dans les palais du monde entier – y compris au palais impérial du Japon. Très jeune, je dévorais les ouvrages des grands maîtres japonais partis se former en France. Leurs récits m’ont fait rêver.

Après quinze ans passés aux côtés de légendes comme Marcon, Bocuse ou Frechon, quelles sont les valeurs que vous portez dans vos assiettes ?

Ils m’ont transmis un profond respect pour la tradition et la justesse du goût. À L’Ambroisie, je souhaite honorer ces valeurs avec sincérité : proposer une cuisine fidèle à l’esprit de la gastronomie française, où chaque assiette est un hommage et un plaisir.

L’Ambroisie

9, place des Vosges, 4e Tel : 01 42 78 51 45 www.ambroisie-paris.com/
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Vous refusez de mélanger les influences : où est la frontière entre tradition et signature personnelle ?

La tradition est une mémoire du goût – celle des sauces, des cuissons, de l’émotion attendue par des palais avertis. Ma signature, elle, se glisse en filigrane : une recherche de légèreté, de netteté dans la présentation. Un dialogue discret et respectueux, entre authenticité et nouveauté.

L’Ambroisie, c’est trente-sept ans d’excellence.Comment vivez-vous cette pression ?

Plutôt que de la pression, j’éprouve une forme de sérénité. La cuisine que je pratique ici est celle que j’aime profondément, celle que j’ai étudiée, respectée, rêvée. L’Ambroisie est un lieu d’héritage, mais aussi un espace vivant, où l’on peut écrire la suite sans trahir l’essence. J’y trouve une grande joie, celle de faire vivre un patrimoine culinaire avec sincérité, exigence et émotion.

Comment se passe la transition avec Bernard Pacaud ?

Ce qui me touche, c’est d’entendre de vive voix les histoires que j’ai longtemps lues dans les livres, et rêvées en silence. Il ne s’agit pas tant de gestes précis ou de recettes figées, mais d’un récit vivant que me confie le chef Pacaud.

On vous dit rigoureux, humble et précis…

Je recherche toujours la perfection – non par obsession, mais comme une forme de respect envers le métier, le produit, et le client. Cette exigence crée une dynamique de confiance au sein de l’équipe : chacun sait que son travail compte. Lorsqu’on atteint l’excellence ensemble, la fierté est partagée, et cela renforce la cohésion de la brigade.

Vous entrez dans une maison où « seule compte l’émotion juste », selon Bernard Pacaud. La barre est très haute !

La cuisine de L’Ambroisie me touche intensément. J’ai un lien sincère avec cette maison, avec son langage culinaire. Je pense que c’est en restant fidèle à cette émotion, et en la vivant pleinement, que je pourrai la partager avec nos clients. Quand la passion est authentique, elle traverse les gestes, les plats, et se ressent au-delà des mots.

Quelles ambitions nourrissez-vous pour L’Ambroisie ?

L’Ambroisie ne sera jamais tout à fait la même, car nos histoires sont différentes. Mais nos sensibilités sont proches. Mon ambition est de poursuivre ce récit d’excellence, en y apportant ma touche personnelle. Je souhaite faire vivre la gastronomie française avec une fidélité respectueuse, mais vivante. L’évolution ne s’oppose pas à la tradition, elle lui donne souffle et continuité.

À titre personnel, comment cette reconnaissance change- t-elle votre rapport à votre identité franco-japonaise ?

Cette étape marque une nouvelle liberté d’expression pour moi, mais elle ne change pas l’essentiel. J’ai depuis longtemps une philosophie simple : la vie est belle. Mon identité s’ex- prime naturellement dans mes assiettes, dans les gestes quotidiens. Plus qu’une origine, c’est une manière d’être, de transmettre de la beauté, de la paix, et une forme de joie discrète. Ce que je souhaite raconter au-delà des plats, c’est peut-être cela : un chemin de gratitude et de sincérité.

LES CLÉS DE LA TRANSMISSION SELON BERNARD PACAUD

LES CLÉS DE LA TRANSMISSION SELON BERNARD PACAUD

  • « AUCUNE FAUSSE FRIVOLITÉ, SIMPLEMENT LE PRODUIT. » CETTE LEÇON DE CLAUDE PEYROT, BERNARD PACAUD L’A APPLIQUÉE AVANT DE LA PARTAGER À SON TOUR. RENCONTRE AVEC UN CHEF QUI A FAIT DE LA TRANSMISSION UN ART, OÙ L’HUMILITÉ DEVIENT LA PLUS HAUTE DES EXIGENCES.

Comment transmettez-vous votre passion salvatrice de la cuisine à un chef d’un autre univers culturel ?

La cuisine m’a sauvé grâce à la Mère Brazier et Claude Peyrot. La Mère m’a transmis son savoir et a pris soin de moi. Claude Peyrot disait : « Aucune fausse frivolité, simplement le produit. » Quand on parle de cuisine, on ne parle pas de nationalités. J’attends de mon équipe un état d’esprit basé sur le respect, l’humilité et le travail. Shintaro Awa a la même approche, basée sur les produits et la générosité.

L’Ambroisie est bâtie sur la retenue et le “silence du lieu et du geste”. Comment ces notions évolueront-elles avec votre successeur ?

Je laisse ma cuisine parler pour moi. Je ne cherche pas à briller mais à offrir une expérience unique. L’Ambroisie est une maison que j’ai construite avec ma femme. Avec Walter Butler, mon associé, nous voulions un successeur partageant nos valeurs pour préserver l’âme du lieu. Shintaro Awa fera perdurer l’état d’esprit propre à cette maison tout en y apportant sa propre sensibilité.

En 2023, votre fils Mathieu n’a pas souhaité reprendre le restaurant. Que faut-il faire pour perpétuer une maison avec respect et liberté ?

Il faut écouter, comprendre l’état d’esprit, respecter les valeurs qui ont fait le succès du lieu. Se nourrir des histoires de ceux qui y travaillent depuis longtemps. Faire preuve de patience. Amener sa cuisine progressivement tout en gardant les plats emblématiques. Si un chef ne se sent pas à l’aise avec cela, il est préférable qu’il écrive sa propre histoire en ouvrant un nouveau lieu.

Par Manuel Mariani - Publié le

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