Revenu rive droite, à deux pas de l’Elysée, du Bristol et pas loin de Colette – « Je voulais être dans ce périmètre parce que, si les Parisiens de la rive gauche traversent volontiers la Seine, les touristes ou ceux habitant rive droite ne font pas le chemin inverse ; mais aussi parce que cette clientèle pousse à se renouveler, tant elle vient pour vivre quelque chose de fort » –, Jean-François Piège a investi une ancienne pizzeria et tout réaménagé, pensé, maîtrisé, du sol aux murs, vaisselle, déco, logo (avec les M/M), plafond. Avec l’aide d’une amie décoratrice américaine, Gulla Jonsdottir, mais en décidant, au final, lui-même de ce qu’il voulait ou non. Porte d’entrée dont les motifs dessinent un plan de Paris, cuisine ouverte en marbre veiné et inox qui accueille les visiteurs, parois du même marbre ultra moderne, salle en longueur (60 m2 et 22-25 couverts maximum) installée sous une verrière en plaques de verre façon puzzle arty, murs en béton imitant des planches, appliques Baccarat, moquette à effets optiques, tables rondes aux fauteuils confortables, vaisselle savamment choisie… rien n’a été laissé au hasard. L’équipe de dix-sept personnes officie avec professionnalisme et une gentillesse non compassée. « C’est une maison de parti-pris, revendique le chef. Un peu comme moi, le restaurant ne laissera pas indifférent. C’est ce que j’aime ».
Les plats sont à l’unisson, eux qui surprennent et emportent au paradis. Le paradis des sens, des émotions, des pensées. « Au Grand Restaurant, tout est cuisiné, a un goût, c’est l’identité française, commente Jean-François Piège. Je propose une cuisine plus directe, non pour me livrer plus qu’avant mais mieux qu’avant. Ici, j’avais envie d’assumer d’être Français, pas au sens cocardier du terme ou par souci de défendre quelque chose, mais poussé par l’envie d’exprimer ma culture. J’ai donc repensé le plat mijoté d’antan, lui insufflant une identité gustative particulière. » Ces « Mijotée moderne » valent le détour. Après avoir savouré en hors d’œuvre – par exemple – une « Pomme soufflée craquante, émulsion de crustacés et caviar », ou de divines « Langoustines juste raidies, avec feuilles (croustillantes) de blé noir et nage de sucs concentrés » (c’est à tomber), enchainer avec un « Ris de veau cuit sur des coques de noix concentré et tête de cèpes » relève de l’expérience rare. On peut aussi, avant cette autre « Mijotée moderne » qu’est le « Homard bleu de Bretagne cuit en feuilles de figuier, mûres épicées, foie gras sauvage », se laisser séduire par le « Gâteau de foie blond selon Lucien Tendret, baigné d’une sauce aux écrevisses » voire par une « Tourte de jeunes oignons doux des Cévennes, pralin et hareng pilé ». Les fromages (de chez Xavier) comme les vins (tous français et sélectionnés par la chef sommelière Caroline Furstoss) sont d’autres must, tandis que les desserts, élaborés avec la chef pâtissière Nina Metayer, constituent une apothéose douce: le chocolat grand cru neige de framboises et les fraises des bois rafraichies d’un Perrier rondelle valent l’essai.
La cuisine, quand elle est réalisée de cette manière est donc bel et bien un art du vrai, une intelligence des saveurs et des sens qui parle au cerveau. Le Grand Restaurant est le temple de la création signée Jean-François Piège. Un temple où les offrandes, c’est au visiteur qu’on les fait. Ce culte-là, comment ne pas s’y adonner sans réserve !