Evénement

Élodie Navarre, la scène comme prétoire

Habituée aux rôles de femmes fortes sur scène comme au cinéma, Élodie Navarre surprend, en avocate retorse dont la vie bascule, dans Prima Facie de Suzie Miller, à voir au théâtre du Petit Montparnasse jusqu’au 6 avril. Rencontre avec une comédienne sans artifices.

Par l’agent français de Suzie Miller, l’autrice du spectacle. J’ai été passionnée par le sujet et ce personnage qui connaît si bien la machine judiciaire. Une machine qui va d’ailleurs se retourner contre elle. C’est un peu l’idée de l’arroseur arrosé. J’ai d’abord lu le texte en anglais puis ses dif- férentes traductions. Dans la version française, l’idée était vraiment de se resserrer sur la question suivante : quelles sont les différentes étapes à franchir pour une victime lorsque cette dernière a été confrontée à des violences sexuelles? Prima Facie est une pièce qui me tient particulièrement à cœur. Il se trouve que je sors d’une comédie (Une Situation délicate d’Alan Ayckbourn, ndlr) que j’ai jouée pendant deux saisons. J’avais vraiment envie de revenir à quelque chose de plus sérieux et le texte de Suzie Miller est arrivé à point nommé.

De quelle manière avez-vous travaillé votre personnage, Tessa, avocate aux origines modestes, réputée pour ses nombreuses victoires lors des procès ?

Élodie Navarre : « J’avais en tête ces personnages des films de Ken Loach. Des femmes et
hommes de milieux populaires qui se battent pour y arriver. Tessa vient de Liverpool, d’une famille qui vit dans la précarité. C’est une vraie transfuge de classe qui s’est petit à petit construit une carapace. Elle mobilise toute son énergie pour se faire une place au sein de l’élite. Même si elle reste inévitablement toujours en décalage par rapport à ces personnes de la classe supérieure. C’est une femme qui a une revanche à prendre sur la vie et qui compte bien atteindre tous ses objectifs. À mi-parcours, votre personnage est victime d’un viol par un autre avocat. Dès lors, c’est comme si une autre femme, plus vulnérable et finalement plus humaine, apparaissait sur scène… À la suite de ce drame, Tessa comprend qu’elle a été mal- gré elle totalement formatée par un système. En se retrouvant broyée par une machine judiciaire qu’elle a contribué à nourrir, elle montre effectivement un visage plus humain. Il lui faut, hélas, ce terrible événement pour enfin ouvrir les yeux.

Que ce soit au théâtre ou au cinéma, diriez-vous que le rôle de Tessa est l’un des plus forts que vous ayez eu à jouer ?

Élodie Navarre : « Totalement. Cette femme me rappelle le personnage que j’ai interprété, il y a plusieurs années, dans Sunderland, la pièce de Clément Koch. C’était le rôle de Sally, une chômeuse originaire du nord de l’Angleterre qui devenait mère porteuse pour sortir de la galère. Sally et Tessa sont deux filles qui n’ont plus rien à perdre. Ce n’est pas pour vivre qu’elles se battent, mais pour survivre. »

Mon personnage, Tessa, est une femme qui a une revanche à prendre sur la vie et qui compte bien atteindre tous ses objectifs

Suzie Miller, l’autrice de la pièce, Géraldine Martineau, la metteur en scène et vous-même partagez cette idée que “quelque chose doit changer”. Justement, qu’est-ce qui doit changer ?

Élodie Navarre : « Tout d’abord, les victimes de violences sexuelles doivent être traitées d’une autre manière. Aujourd’hui, on a l’im- pression que c’est à la victime, et non à l’accusé, de prouver les choses. Et ce n’est pas normal. Je pense également qu’il ne faut pas juste se focaliser sur le moment de l’agression, mais aussi sur l’après. Malheureusement, on ne prend en compte que le moment où tout a basculé. Quid des mois, des années qui suivent de tels drames ? Des vies peuvent être totalement brisées à la suite d’agressions sexuelles et c’est vraiment là-dessus qu’il faut le plus insister. »

Vous avez débuté très jeune, à 16 ans. Diriez-vous que les choses ont évolué dans le bon sens pour les actrices ces dernières années ?

Élodie Navarre : « Ces derniers temps, la vague #MeToo revient et c’est une bonne chose. Maintenant, les actrices sont protégées, ce qui n’était pas forcément le cas lorsque j’ai commencé. Par exemple, nous n’avions pas de coordinateurs d’intimité. Aussi, lorsqu’il s’agissait de se dénuder ou de jouer une scène de sexe avec un partenaire, on ne nous demandait pas vraiment notre avis. J’ai encore le souvenir de ce metteur en scène me disant : « Si je ne te désire pas, je ne vois pas pourquoi le public te désirerait. Fais en sorte de susciter ce sentiment chez moi. » J’espère vraiment que les choses sont différentes pour les jeunes comédiennes aujourd’hui. »

Par Antoine Lefur - Publié le

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