Interview

Sabine Devieilhe au parcours fortissimo

Auréolée le mois dernier, fait rarissime, de deux Victoires de la musique classique, cette jeune soprano colorature, déjà mondialement connue, s’est produite récemment à Covent Garden et à La Scala de Milan. Elle interprétera le 2 mai Pelléas et Mélisande au théâtre des Champs-Élysées. Rencontre avec une jeune femme bien dans sa tête en qui beaucoup voient la nouvelle Natalie Dessay.

Sabine, lorsque votre nom a été prononcé pour la seconde fois en tant que meilleure artiste lyrique de l’année, quelle est la pensée qui a traversé votre esprit ?

C’était un immense honneur et j’étais très émue. Mes pensées ont volé aussitôt vers ma famille, vers mes parents et mes trois sœurs qui habitent toujours la petite ville d’Ifs, en Normandie où je suis née et qui m’ont toujours soutenue et encouragée. Notre complicité est très forte ! À mon mari aussi, bien évidemment, le chef d’orchestre Raphaël Pichon, et à notre petit garçon de 16 mois.

Votre trajectoire est d’autant plus surprenante que vous ne vous rêviez aucunement chanteuse !

Je suis née dans une famille mélomane, mais pas musicienne. Mon père est éducateur spécialisé et ma mère institutrice. À la maison, nous écoutions beaucoup de musique. Du classique aussi bien que du rock que mon père adorait ou de la variété avec Alain Bashung. Et puis, ma sœur aînée s’est mise à apprendre le violon et, moi, je rêvais de pouvoir jouer avec elle. J’ai alors choisi le violoncelle dont j’aimais beaucoup de son. Très vite, je me suis mise à jouer en duo avec ma sœur. Nos parents nous ont appris à aimer autant l’école que l’école de musique.

Comment avez-vous bifurqué du violoncelle au chant lyrique ?

À 15 ans, le chef de chœur du Conservatoire de Caen, dont je faisais partie, m’a proposé de prendre des cours de technique vocale. J’étais encore un peu jeune pour cela car la mue des jeunes filles n’intervient que vers 17 ans. Après le Bac, je me suis inscrite en faculté de musicologie à Rennes. Pour essayer de gagner un peu d’argent, je me suis présentée à l’audition annuelle des chœurs de l’Opéra de Rennes et, à ma grande surprise, j’ai été retenue !

 

sabine Devielhe soprano colorature

Comment avez-vous vécu cette admission ?

Pour moi qui n’avais jamais mis les pieds à l’opéra, c’était le rêve absolu ! J’étais éblouie de ce que je découvrais. Mon premier spectacle était le Vaisseau Fantôme, un opéra particulièrement impressionnant. Lorsque j’ai annoncé la nouvelle à mon professeur de violoncelle, je me souviens qu’elle m’a dit, effarée : « Toi, chanter du Wagner, mais avec ta voix fluette, ce n’est pas possible ! » J’ai alors pris des cours avec une femme au charisme formidable, Martine Surais, qui a su détecter mes capacités vocales et m’a donné l’envie de devenir soliste.

On a l’impression que les choses sont ensuite allées très vite, d’une certaine fulgurance dans votre ascension…

Dès mon admission au Conservatoire national supérieur de Paris, à 21 ans, les choses sont devenues sérieuses. J’y ai appris la diction lyrique en italien et en allemand, à chanter en étant malade ou simplement épuisée, à tout essayer sans la présence du public. Là, je découvre Mozart et me trouve très vite des affinités avec le répertoire baroque de Rameau et de Purcell. On me disait que j’avais à peu près la même tessiture que Natalie Dessay que j’admirais énormément. J’ai commencé à passer des auditions et j’ai eu la chance que Jean-Claude Malgoire m’ouvre rapidement les portes de son orchestre. Il est vrai que tout est allé très vite ; peut-être parce que les voix aiguës sont rares et très appréciées et que cette tessiture a amené beaucoup de compositeurs à faire des premiers plans.

La perspective de devenir cantatrice vous séduisait-elle ?

Ah non, pas du tout ! J’avais en tête l’image de la Castafiore, de grosses dames capricieuses en chignon se produisant sur scène dans des robes à paniers ! Aujourd’hui, notre métier est bien différent. Nous ne sommes plus des divas, nous prenons le métro et faisons nos courses nous-mêmes. La génération des cantatrices stars, je pense à la Callas, qui s’est sacrifiée pour sa carrière est bel et bien révolue. Nous ne sommes plus des stars, l’opéra est devenu une niche qui a besoin de devenir plus populaire.

Votre voix de soprano colorature vous cantonne dans les rôles de soubrettes et de jeunes filles. Des emplois qui, malheureusement, ne peuvent pas durer toute une carrière…

Je le sais, mais comme je suis encore jeune je ne suis pas lassée ! Il est vrai que le côté aérien de ma voix fait que je suis souvent accompagnée de flûtes et de harpes qui me font passer de la princesse Lakmé au Rossignol de Stravinsky. En même temps, la Reine de la Nuit de la Flûte enchantée me permet de changer de tonalité. Je deviens alors une femme de pouvoir tout en haut de la hiérarchie sociale.

Vous êtes la maman d’un petit garçon de 16 mois. Cantatrice et mère de famille, les deux rôles sont-ils compatibles ?

Pour le moment oui, car je l’emmène partout ! J’ai chanté jusqu’à mon huitième mois de grossesse et je remontais à nouveau sur scène deux mois après mon accouchement. Lorsque je me déplace pour chanter un opéra, mon séjour dure en général entre quatre et six semaines. Je ne pourrais concevoir de rester si longtemps sans voir mon bébé et mon mari (le chef d’orchestre Raphaël Pichon, créateur de l’ensemble Pygmalion) qui nous rejoint le week-end quand cela lui est possible. Je loue systématiquement un appartement avec des jouets fournis pour mon fils et j’engage une nounou sur place. Cela m’oblige à voyager léger. Je suis absente de chez moi les deux tiers de l’année et mon agenda est plein jusqu’en 2022 ! Lorsque notre fils sera scolarisé, je sais que cela posera problème même si les grands-parents sont épatants… Pour l’instant, il a appris à marcher à Londres et a mangé sa première glace à Milan.

Vous aviez 20 ans lorsque vous vous installez à Paris. Quelle a été votre première impression ?

Formidable ! Mon premier choc parisien ? Le sorbet au cassis de chez Berthillon. Je ne m’en suis jamais lassée ! Et puis les musées. J’ai une passion pour Orsay dans lequel je tourne en boucle, tout comme les quais où j’adore flâner. J’ai longtemps habité le 18e, à côté du marché de l’Olive où j’allais tous les jours. J’ai une passion pour les marchés et lorsque je choisis un appartement à l’étranger, c’est toujours en fonction de la proximité d’un marché ! Je me souviens avoir très mal mangé à Amsterdam et avoir déploré que les prix des marchés de Londres soient trois fois plus chers que ceux de Paris…

Aujourd’hui, habitez-vous toujours Rive droite ?

Oui, mais dans une jolie petite maison douillette près des Buttes Chaumont. Lorsque je suis à Paris, j’avoue que j’ai du mal à sortir de mon quartier que je considère comme un cocon et je continue, le dimanche, à aller au marché de la place des Fêtes dans le 19e arrondissement. J’adore cuisiner et recevoir mes amis. Malgré un emploi du temps chargé, je trouve toujours du temps pour eux comme pour aller voir ma famille en Normandie.

Si tout était à refaire…

Je referais exactement la même chose. La petite fille joyeuse que j’étais se rêvait marchande de cadeaux et chanter pour les gens, n’est-ce pas leur faire un cadeau ?

Bio Express Sabin Devieilhe

Bio Express Sabin Devieilhe

  • Naissance à Ifs, en Normandie.
  • Premier prix de chant du Conservatoire supérieur de musique de Paris décerné à l’unanimité et avec les félicitations du jury
  • Premier récital consacré à Rameau, signe chez Erato, chante le rôle de la Reine de la Nuit de La Flûte enchantée à l’opéra de Lyon. Révélation artiste lyrique aux Victoires de la musique.
  • Rôle-titre dans Lakmé de Léo Delibes à l’Opéra-Comique.
  • Covent Garden de Londres dans la Flûte enchantée, Staatoper de Vienne dans La Fille du Régiment, La Scala de Milan dans L’Enlèvement au sérail dirigé par Zubin Metta.
  • Lauréate de deux Victoires de la musique classique : pour son album Mirages et en tant qu’artiste lyrique de l’année.
  • Pélléas et Mélisande de Claude Debussy au théâtre des Champs-Élysées.
  • Chantera le rôle d’Ophélie dans Hamlet de Shakespeare à l’Opéra-Comique.
Par Caroline Rochmann. Crédit photos : Piergab, Molinavisuals - Erato. - Publié le

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