En arrivant, le rêve a-t-il été conforme à la réalité ?
Oui. Et plus encore. La maison avait déjà l’envie, le désir, l’ambition d’affirmer cette différence, qui est sa signature depuis toujours. En interne, chacun voulait faire progresser la marque, son aura, ses résultats, qu’elle soit mieux reconnue comme joaillier de référence par les jeunes générations, lesquelles sont intéressées par la culture, le design, le monde, la modernité, une approche différente du luxe et de l’art de vivre. Les hôtels Bvlgari ont accentué ce désir d’un service et d’un art de recevoir autres ; en proposant des expériences inédites, ils ont modifié la vision des clients qui recherchent désormais les mêmes spécificités dans nos créations et dans nos lieux. Nos hôtels sont quasiment des écoles de ce qu’il faut entreprendre et généraliser, une formation permanente à l’excellence et à la différence. Ils créent en outre une sorte de tribu Bvlgari dont les membres aiment se reconnaître dans une approche renouvelée du luxe. Par ce renfort de désirabilité, ils deviennent Bvlgari dans l’âme car l’âme de Bvlgari est de ne jamais être ou faire comme tout le monde.
L’identité de Bvlgari, comment la qualifieriez-vous d’un mot, voire de deux ?
S’il fallait un mot, je dirai “la créativité”. Et deux : “une école d’innovation”. Bvlgari a toujours été novateur, donc il ne fallait pas faire rentrer la maison dans le rang mais au contraire en accentuer l’ADN. Notre métier de base – la joaillerie – devait et doit montrer le rôle signature de la marque dans ce domaine, se focaliser sur l’imagination, la surprise, le bonheur d’admirer des pièces pas comme les autres. Notre dernière collection de haute joaillerie, Festa, présentée au début de l’été dernier à Venise, traduit cette volonté. En revenant aux origines de la joie de vivre, en faisant référence au désir des petites filles – qui a toujours été de devenir un jour des princesses –, en parlant de fête, de gourmandise, Bvlgari a créé la surprise et suscité sourires et plaisirs. Plus de cent pièces magnifiques ont été dévoilées aux médias, aux clientes, à nombre de célébrités, où les cabochons précieux sont devenus boules de glace, ballons, olives, où des bijoux ressemblaient à des paquets cadeaux, etc. Couleurs, vivacité, célébration de la vie… tout incitait au bonheur, à la bonne humeur. Un bijou, on se l’achète ou on le reçoit ; il est donc lié à l’amour, à une célébration, à un plaisir intime ; jamais Bvlgari ne l’oublie. Et comme la maison est installée à Rome, elle sait combien l’âme de cette ville célèbre tout regard pétillant sur l’existence. À Rome, la vitalité, la bonne humeur, l’envie de s’amuser et de procurer de la joie prédominent. À nous de ne jamais l’oublier.
Vous parlez de la haute joaillerie, mais la créativité peut-elle être la même dans tous les secteurs ?
Chez Bvlgari, elle l’est. Nos montres comme nos bijoux, nos sacs etc. doivent correspondre à cette philosophie. On voit d’ailleurs des thèmes des uns apparaître dans l’univers des autres, en synergie, en rappels créatifs tant nos départements ne sont pas gérés chacun séparément mais poussés à œuvrer de concert. Notre mythique Serpenti se fait bijoux, montres, ornement de sac et même détail subtil sur le flacon du parfum Goldea. Une signature stylistique, c’est un trait commun quels que soient les produits. Une cliente ne peut avoir le sentiment que chaque entité travaille dans son coin, elle veut une cohérence, du beau, du rêve, du très bien réalisé tant il est primordial que tout produit Bvlgari soit parfait. Elle cherche l’excellence, nous devons la lui donner.
C’est une question d’aura, d’image, de pérennité ?
Oui, mais surtout de confiance. Le joaillier d’antan, qui proposait des pierres et des bijoux soignés à une clientèle locale, dont la famille se donnait le nom de génération en génération, a disparu. Et pour cause : désormais les clients voyagent partout. La confiance, dans la qualité des pierres comme du travail, ils l’accordent dorénavant aux maisons qui, dans les villes phares, proposent l’excellence de la réalisation, l’imaginaire créatif et la valeur sûre des pierres utilisées. Ce capital confiance a une incidence sur la valeur elle-même. Qu’est-ce qui va conduire un client à différer l’achat de tel ou tel bijou, telle ou telle montre ? Pas forcément un produit d’une autre maison – car il est très informé et sait d’avance ce dont il a envie –, mais des dépenses sans rapport. La concurrence existe plus entre un voyage à deux aux Maldives et un bracelet ou une montre qu’entre deux bracelets ou deux chronos de marques reconnues. À nous, donc, de susciter désir et amour. En joaillerie comme en horlogerie.
Il existe de véritables différences d’approche entre ces deux métiers ?
Bien sûr. Et notamment la question du temps. Un bijou, aussi travaillé soit-il, comme il est unique, une fois le dessin réalisé, les pierres choisies, c’est la main de l’homme qui ensuite le fait naître et impose son tempo. Mais, grosso modo, en six mois il est conçu et réalisé de A à Z. Lancer une nouvelle montre exige bien plus de temps car, outre la création elle-même, la réalisation proprement dite, interfère les exigences de la série, les normes imposées – qui diffèrent d’un pays à l’autre –, la complexité du nombre de composants, les tests, la nécessité d’être fonctionnel, de résister aux températures, aux chocs, etc. Dès lors, j’ai plaisir à constater combien Serpenti, Lucea, etc. sont des montres à succès. À dire aussi que nous avons refondu nos codes horlogers en quatre ans, avec des nouveautés qui ont permis de traverser la tempête que certains pays, comme la Chine, ont fait subir à nombre d’horlogers. Avec ces modèles forts, identitaires, nous sommes parvenus à digérer les soubresauts, et même à progresser. Mais il faut toujours inventer. Donc déjà anticiper à court et moyen terme. La maroquinerie, de son côté, est un secteur rapide même si on recourt à différents types de peau… alors que le parfum, lui, paradoxalement est assez long à élaborer, là encore en raison des exigences sanitaires, de la nécessité de s’adapter aux différents types de peaux, aux marchés, etc. Vous voyez, chaque univers a ses lois propres. Et je ne parle pas de l’hôtellerie, évidemment très longue.