Olivier Saillard, la mode dans la peau
Qu’est-ce qui vous motive le matin pour vous lever ?
Olivier Saillard : Me lever, c’est un enfer. Je pourrais tuer tout le monde pour un quart d’heure de plus. Ce qui me fait lever ce sont les obligations. En revanche, je reconnais, que ce soit à mon atelier qui est à côté de chez moi rue des Petits-Champs, à la Fondation Alaïa ou dans les bure aux de J.M. Weston, c’est le matin que je travaille le mieux.
Où travaillez-vous à Paris ?
Olivier Saillard : J’occupe de nombreux bureaux à Paris, mon atelier dans le 2e – l’endroit que je préfère par-dessus tout –, la Fondation Azzedine Alaïa dans le 3e, où nous nous trouvons pour cette interview, l’hôtel particulier où sont installés les bureaux de J.M. Weston dans le 16e…
Quel est le point commun de vos bureaux ?
Olivier Saillard : Dans chacun d’eux, on retrouve de grandes tables carrées, qui permettent de tourner autour, d’organiser des réunions, de travailler, d’étaler les documents et d’ avoir une vision d’en- semble du projet… Je travaille encore beaucoup à l’ancienne et toujours sur du papier, avec des documents, des croquis…
Quel est votre rôle à la Fondation Azzedine Alaïa ?
Olivier Saillard : J’opère un travail de fond. Azzedine Alaïa avait réuni 60 ans de son travail et une vaste collection de pièces d’art, de design et de mode qu’il collectionnait depuis 1968. Pour exploiter ce patrimoine qu’il a sauvé et que les musées n’étaient pas en mesure d’acquérir, on a construit des réserves, on les a aménagées et on s’attelle à dresser l’inventaire. Il y a des costumes de Matisse dans la collection. Hier encore, on a découvert un chapeau de Michael Jackson…L’idée est ensuite de construire des expositions, de faire connaître et vivre ce patrimoine.
Comment vivez-vous ce lieu ?
Olivier Saillard : C’est une cité dans la cité, Azzedine Alaïa y vivait, avait ses ateliers, une boutique de vente et y présentait ses collections. C’est franchement un modèle de vie formidable, tout faire au même endroit avec des espaces somptueux et industriels. Je veux que cette fondation devienne un jour musée de France ou, au moins, obtienne le label musée de France, parce que je trouve qu’Alaïa a vraiment brillé par son comportement vis- à-vis des archives et de l’histoire.
À la fin des années 1980, vous avez travaillé au musée de la Mode et du Textile.
Olivier Saillard : Oui, j’ai effectué mon service civil dans ce musée qui deviendra le musée des Arts décoratifs. C’était un lieu très beau, il y avait encore les réserves dans les étages intermédiaires, c’était un vieux musée aussi, c’était avant qu’on invente le terme muséographie pour les foules de touristes. Donc ça ressemblait plus à un cabinet de curiosité qu’à un musée. J’y ai ensuite travaillé dans les années 2000 en tant que conservateur.
Et au musée Galliera ?
Olivier Saillard : En 2010, j’ai pris la direction du Palais Galliera et ce n’était pas facile d’être directeur d’un musée fermé… Alors, j’ai monté des expositions “hors les murs”. D’ailleurs “Madame Grès, la couture à l’œuvre”, qui a eu lieu en 2011 au musée Bourdelle, est, selon moi, ma meilleure exposition. Je tenais à redonner au Palais Galliera tout son lustre.
Quel est votre métier chez J.M. Weston ?
Olivier Saillard : Mon titre exact est directeur artistique image et culture de la maison J.M. Weston, c’est-à-dire que dans tout ce que je réalise, je fais ré-intervenir de la culture, j’essaie de donner du sens avec la notion d’histoire. Je travaille sur les couleurs, sur l’image, que ce soit pour les campagnes photos Instagram, ou pour les boutiques dont on a renouvelé les concepts. Je les réalise comme je monte une expo en reprenant une esthétique un peu muséale qui magnifie les produits. Il y a parfois des gens qui me disent que j’ai remis l’église au centre du village chez J.M.Weston.
Que représente Moda Povera que vous avez lancé en 2018 ?
Olivier Saillard : Avec Moda Povera, j’ai monté un projet couture tendant à prouver qu’on peut faire du beau à partir de peu. J’ai demandé à Martine Lenoir, ancienne couturière qui travailla pour Madame Grès, de venir et on a drapé des t-shirts comme des robes du soir. Ce n’est pas vraiment une marque de mode appelée à vendre, c’est plutôt une œuvre de pédagogie. Ce sont plus des défilés-performances que j’organise.
La création est au cœur de votre vie. Poésie, performances quels sont vos projets ?
Olivier Saillard : J’ai participé en 2005 à un séjour à la résidence d’artistes Villa Kujoyama au Japon. J’ai commencé à faire des performances où des femmes lisaient les descriptions de vêtements de manière poétique… mais il n’y avait pas de vêtements. Petit à petit, c’est devenu aussi, un travail sur la mémoire des gestes du mannequin, sur la mémoire de la mode. Par exemple, en décembre 2022, avec Tilda Swinton, j’ai imaginé Embodying Pasolini, une sorte de défilé-rituel pour redonner vie aux costumes des films de Pier Paolo Pasolini. Je trouve que c’est ce que j’ai fait de mieux dans ma vie, j’ai inventé mon boulot…
Quel est votre rêve parisien ?
Olivier Saillard : Je me dis que si je gagnais au loto, j’aimerais avoir un espace à moi comme celui d’Azzedine. Mais j’aime bien aussi la mer et le soleil. J’aimerais un endroit où je pourrais accueillir des amis et avoir des animaux.
