À la barre donc, un cuisinier qui sait manœuvrer les navires de la gastronomie parisienne et les conduire loin. Apicius (une étoile, rue d’Artois) et la Table de la Ferme (située en Sartène), c’est lui. Des établissements créés après un travail commun (et parfois musclé) avec son père, le célèbre Bernard Pacaud, à l’Ambroisie (trois étoiles). « Place des Vosges, nous n’avons jamais été aussi bons que lorsque nous étions, avec nos visions et caractères trempés, en opposition, sourit-il. Apicius, le concept ne l’emballe pas. Divellec, en revanche, il apprécie et y vient. Nous avons d’ailleurs travaillé ensemble sur certains plats, ce qui a créé un lien entre nous : un enfant a toujours besoin de prouver à ses parents qu’il est bon. Divellec a agi comme une thérapie. » Et ce au nom du meilleur du grand large des saveurs. « L’emplacement est magnifique, Jacques Le Divellec fut le premier à créer la gastronomie du poisson et le nom de l’établissement une institution ; il convenait cependant de réveiller la Belle au bois dormant, de la réinventer », argue Mister Pacaud. La mer, ici, est « ample, généreuse, orchestrée ». Avec fruits de mer à déguster brut de fraîcheur ou de façon sophistiquée (huître pochée au sabayon de cresson et caviar golden, homard bleu avec salmigondis végétal et nage montée au beurre de Nepita). Mais aussi des entrées crues pour apprécier la force marine à l’état pur (carpaccio réinventé en cevice tel le calque de daurade royale avec bonbons de pomme verte) et chaudes repensant les classiques (petit gratin d’écrevisses noyées au Sancerre…) Les plats ? Ils élaborent la même alchimie fraîcheur/audace : il y a des poissons servis entiers, pièces du jour tout juste débarquées des criées, dont le client sélectionne cuisson, sauces et garnitures. Et les mêmes, travaillés dans un style « inspiré, exigeant, précis sans être précieux » (médaillon de lotte confit à la maltaise, filets de loup aux quatre épices, etc.). Même les desserts honorent cette carte aussi marine que citadine. Et comme celle-ci évolue sans cesse – « Mon rêve, n’avoir un jour que nos best of, c’est-à-dire les plats finalisés plébiscités par les clients » –, à peine sorti de table, on rêve d’y revenir. Le défi de Mathieu Pacaud, cet exigeant qui pense que « rien n’est jamais assez bien », est de proposer le « meilleur restaurant de poissons de Paris. ».
Mais qui dit spot où tout le monde vient sous-entend service au diapason (après des hésitations, il a trouvé ses marques et son rythme) comme décor à la hauteur. Pas de « Disneylanderie » kitsch évidemment, mais une ambiance colorée, aux matières qui invitent aux voyages comme au cabotage du regard. “Aéré”, maître mot du Divellec (sans le “Le” d’antan, pour plus de pep’s) nouveau. Les architectes de Studio KO ont décloisonné, créé des espaces variés. « Il fallait que le lieu ne paraisse pas trop neuf, raconte le chef, montrer qu’il a toujours été là, respecter sa présence« . Glamour et bohème, esprit Rive Gauche sixties et raffinement décalé 2017, ce lieu de quatre-vingts couverts est parisien au sens actuel du terme avec des couleurs qui « zestent » de vivacité l’ensemble. Terrazzo avec marbres rose, vert, gris et vermillon au sol, velours cognac sur la banquette du vestibule digne d’un foyer d’opéra, bar en marbre rose, jardin d’hiver en vert céladon et bleu dur, murs tapissés de miroirs et rotin tressé, espace avec banquettes alignées en épi, puis salle du restaurant avec chaises à coussins cocon, salons privatisables à parquets et tapis de laine… on vient ici comme on veut et pour ce que l’on veut. En tempo business comme en famille, en mode amoureux comme en voisin… Si un jour le rêve du chef d’avoir une terrasse face au restaurant, sur l’esplanade elle-même, se réalise, l’apothéose des bonheurs toutes saisons sera complète. Avec ce Divellec plus ultra, la mer ne s’échoue pas aux Invalides, elle les dynamise. Vaille que vague, une réussite.