Comment définiriez-vous votre cuisine ?
Au Meurice, ma cuisine est basée sur l’ADN d’Alain Ducasse, car cela fait longtemps que je travaille avec lui. Je partage donc ses valeurs culinaires, auxquelles j’apporte ma touche personnelle, une vision un peu plus actuelle de la cuisine traditionnelle, avec un sourcing pointu. J’aime que ma cuisine soit incisive en termes de goût. Au Meurice, chaque plat est axé sur un marqueur spécifique. Ici, on ne met pas un pied dans le plat, on met les deux. Et quand on prend un parti, sur une recette, on le prend à fond. Par exemple, si on travaille sur l’amertume, on va y aller carrément. Sur un plat de poisson, on n’hésitera pas à pousser des saveurs franchement iodées.
Votre cuisine accorde une grande place au végétal. Les goûts des clients ont-ils évolué en la matière ?
Il n’y a pas vraiment de règles, mais de plus en plus de clients nous font part de leurs intolérances ou de leurs allergies alimentaires. Notre rôle, c’est d’anticiper ces demandes, et d’avoir à la carte de quoi y répondre, tout en gardant l’identité de notre cuisine. Quand j’ai commencé avec Alain Ducasse, j’ai repris goût au travail des légumes, enfant je mangeais à la cantine, et cela m’avait un peu fâché avec les légumes justement !
Quelle est votre saison préférée en termes de produits ?
Sans hésiter, le printemps ! En ce moment, on est en plein dans les légumes racines. J’aime bien cette saison, mais elle est un peu trop longue à mon goût, et je suis toujours impatient de retrouver le printemps, avec sa grande diversité de légumes, leurs couleurs et leur fraîcheur.
Beaucoup de chefs admettent avoir une bête noire nommée pâtisserie. Et vous ? Vous êtes 100 % salé, ou plutôt salé-sucré ?
C’est vrai que je suis plutôt un “salé”. Le problème que j’ai avec cette discipline, c’est qu’il faut tout peser précisément. Je suis vraiment admiratif des chefs pâtissiers, et de la précision que leur travail implique. Alors, si je peux réaliser des desserts à base de fruits, par exemple, que je vais cuisiner de manière instinctive comme n’importe quel ingrédient salé, dès que l’on commence à rentrer dans la pâtisserie plus académique, c’est plus difficile pour moi, avec le grammage précis des ingrédients, les températures à respecter pour le travail du chocolat ou du caramel. Tout cela est très complexe et ceux qui pratiquent cet art à très haut niveau m’impressionnent, comme notre chef pâtissier Cédric Grolet.
Comment votre processus de création se passe-t-il ?
Il n’y a pas de règle. Il peut m’arriver de tourner en rond pendant plusieurs semaines. Et puis un matin, un fournisseur va me ramener un produit, et d’un seul coup cela va m’inspirer une ou plusieurs recettes. Parfois, cela prend plusieurs semaines, plusieurs mois, plusieurs années… On y revient régulièrement, on modifie un dosage ou une cuisson, puis on s’en détache à nouveau. Pour parachever certaines recettes, cela nécessite parfois de faire des pauses et de prendre du recul.
À ce jour, quel est votre meilleur souvenir de cuisinier ?
Le soir de la réouverture du Meurice, au restaurant gastronomique, je n’avais que quatre anciens sur toute la brigade. Tous les autres étaient nouveaux. Nous avons servi 46 couverts, et ça a été un service incroyable. C’est vraiment quand on est au pied du mur que l’on arrive à se surpasser. Les clients étaient super contents. Ça m’a vraiment marqué.
Comment aimeriez-vous que l’on se souvienne de votre cuisine ?
Je n’ai vraiment pas de problèmes d’ego. Ce que j’aimerais vraiment, c’est que tous les membres de mon équipe puissent avoir un jour la même chance que moi : travailler dans un établissement d’exception avec des vrais moyens. J’espère avoir une retraite tranquille et heureuse. Contrairement à Molière, je ne pense pas mourir sur scène.