Eugénie Béziat La nouvelle star du Ritz
Vous aviez commencé des études de langues. Pourquoi la cuisine, au final ?
Eugénie Béziat : « J’ai des parents épicuriens qui aiment recevoir. J’ai toujours eu cette culture des grands repas à la maison. J’ai grandi jusqu’à mes 18 ans à Libreville, au Gabon, au milieu des épices, des produits, des marchés, un univers empli d’odeurs et de saveurs. Ça marque un palais à jamais. J’ai ensuite passé mon bac à Abidjan, en Côte d’Ivoire, avant d’étudier les langues à la fac. Je n’avais pas encore imaginé devenir cheffe. Pour mes 20 ans, mon père m’a invitée chez Hélène Darroze. Elle faisait un plat qui mariait une huître avec de la Granny Smith. Les notes iodées étaient contrebalancées par l’acidité de la pomme. C’était détonnant, un vrai un choc gustatif. Cela m’a fascinée – aujourd’hui encore j’ai ces saveurs ancrées dans ma mémoire – et j’ai pensé que cette dame exerçait un très beau métier. Après le repas, nous avons rencontré Hélène Darroze. Elle a pris le temps de me parler des différentes filières pour se former à la cuisine. Et là, je me suis dit : « C’est ce métier que je veux faire. » Je me suis retrouvée à 24 ans à suivre un BTS en alternance chez Michel Guérard. Comme quoi, il n’est jamais trop tard. Je me le répète encore souvent aujourd’hui. »
Vos premiers souvenirs de gourmandise devaient pourtant être bien éloignés de ceux d’un tel repas ?
Eugénie Béziat : « C’est vrai, je cherche toujours à retrouver les goûts de mon enfance en Afrique comme celui du poulet yassa: l’acidité, l’oignon, le poulet grillé/fumé, la moutarde. Je me sers de ces souvenirs pour remettre à l’honneur la chair si fine et déli- cate de la volaille de Houdan. Je la contise avec un beurre aux agrumes, et je la cuis entière, accompagnée d’un oignon maturé cuit en croûte d’argile que l’on casse devant le client.
Ce sont les oignons du potager du Ritz que nous avons créé à 25 km de Paris. Cela me plaît, de travailler cette volaille d’exception dans la plus pure tradition gastronomique française, mais avec les marqueurs d’un plat africain. »
Êtes-vous restée adepte des cuisines africaines ?
Eugénie Béziat : « Pas seulement. J’aime beaucoup la cuisine des pays dans lesquels j’ai grandi, mais je suis aussi très friande de cuisine libanaise. Il y a de nombreuses communautés libanaises en Afrique et cela m’a permis de découvrir leur univers. Par ailleurs, ma famille est éparpillée dans le monde. J’ai rendu visite à un oncle au Salvador, ce qui m’a permis de découvrir certains plats d’Amérique Centrale. Il y a tellement de saveurs dans le monde, cela donne le vertige. C’est une énorme diversité de culture. »
La street-food, vous inspire-t-elle ?
Eugénie Béziat : « La street-food, on la conceptualise beaucoup, aujourd’hui. C’est une tranche de culture populaire, c’est nourrissant à la fois pour le corps et pour l’esprit. Vagabonder dans un pays étranger et goûter la cuisine des marchands ambulants, c’est une façon de découvrir tout ce qu’un pays a de meilleur à nous raconter. C’est la cuisine de la maison, celle des mères et des grands-mères. C’est de la transmission à l’état pur. Une forme de conservatoire de l’ADN culinaire d’un pays. Partout où j’ai voyagé, j’ai goûté à la street-food locale, c’est la meilleure manière de “goûter un pays”, si j’ose dire. (Rires). »
Quel est votre plat signature ?
Eugénie Béziat : « Un homard avec du bissap qui est un jus d’hibiscus. À Libreville, on s’arrachait le bissap glacé à la sortie de l’école chez les marchands ambulants. On le dégustait comme des Mister Freeze! La teinte pourpre du bissap s’accorde tellement bien avec la couleur rouge des crustacés !
Je cuis ce homard au barbecue, puis je le retravaille à la casserole pour le glacer. Je l’accompagne avec un condiment bissap, salicorne, piment et gingembre qui m’a été inspiré par la “sauce chien” antillaise. En France, on sert souvent le poisson avec une simple sauce vierge, mais la “sauce chien”, c’est une sauce vierge qui décoiffe résolument ! Ce plat rencontre un grand succès. On serait tenté de dire que vous faites une forme de “fusion”, mais en vous écoutant on comprend que votre cuisine est en réalité beaucoup plus personnelle, pour ne pas dire singulière ? Je dis toujours que ma cuisine est une forme d’introspection. Je ne me suis jamais demandé dans quelle case elle rentrait. Ce qui me motive, c’est de développer ma propre créativité. J’ai d’abord appris à exécuter ce que l’on me demandait. Quand je suis devenue cheffe, je me suis libérée, j’ai commencé à réfléchir à ma propre cuisine, mais cela ne se fait pas en une fois. Au bout d’un moment, on arrive à se dire « C’est MA cuisine », car on sait qu’on est allé la chercher en soi. Je mets toute ma sincérité et mes émotions dans mes assiettes. »
Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui rêve de devenir cuisinier ?
Eugénie Béziat : « On ne devient pas un grand chef sans beaucoup de travail. C’est un investissement au quotidien. Le travail dans une brigade, ça ne se passe pas à la télé ni sur les réseaux sociaux. On doit apprendre sans cesse, les bases, les techniques… Le che- min est long. Dans la vie, les choses s’apprennent, se com- prennent, puis on fait des erreurs. Il faut s’attacher à ne pas les refaire. Puis un jour, on se retourne et on peut se dire « Ok, je suis devenu un expert » et en être légitimement heureux. »
Et vous, êtes-vous heureuse ?
Eugénie Béziat : « Ah oui, vraiment. À 100 % «