Victor Mercier, l’omnivore conscient
À quel âge avez-vous pris goût à la cuisine ?
Victor Mercier : Mon père travaillait pour Gault&Millau. J’ai vécu dans une famille d’épicuriens. Il y avait une émission sur France 3 qui s’appelait La tête dans les Étoiles où ils emmenaient les jeunes dans des grands restaurants. Puis l’émission Oui Chef de Cyril Lignac est arrivée, j’avais 14 ans.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui veut devenir chef ?
Victor Mercier : C’est un métier que l’on ne peut pas faire à moitié. C’est le sacrifice d’une vie, il faut bosser tous les jours, mais c’est aussi beaucoup de plaisir. Il ne faut pas brûler les étapes.
En 2018, vous avez été finaliste de Top Chef ?
Victor Mercier : Je dis souvent “Sans Top Chef, pas de F.I.E.F !” J’avais déjà envie de me lancer, j’étais en recherche de financements. Juste après Top Chef, le banquier m’a dit « C’est maintenant ou jamais ! »
Paris est-elle la meilleure scène gastronomique au monde ?
Victor Mercier : On n’a jamais aussi bien mangé à Paris. C’est presque trop, je ne sais même plus quel restaurant choisir. Je suis du signe de la Balance : pour moi, c’est très dur de choisir. À Paris, on peut manger de tout, y compris des cuisines étrangères étoilées. C’est une diversité unique.
On dit de vous que vous faites une cuisine d’auteur.
Victor Mercier : Je pense surtout que je suis encore un suiveur. Passard disait : « On commence à cuisiner quand on a 40 ans. » J’essaye de plaire au plus grand nombre. Mes clients me disent par- fois « On a voyagé, mais en France. » C’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire. Beaucoup de critiques gastronomiques disent qu’ils en ont marre des menus dégustation. Mais moi, mon truc, ce sont les menus uniques à rallonge ! On a même un menu en 10 temps ! Ça oblige à faire plus petit, donc plus percutant. C’est ça la belle cuisine : deux ou trois éléments, une cuisson et de la précision.
Que pensez-vous des vins nature ?
Victor Mercier : On a essayé, mais on a vite arrêté. Ces vins ne sont pas assez stables pour être servis au restaurant. C’est bien joli de vouloir laisser faire la nature, mais un vin avec pratiquement aucune intervention du vigneron, c’est rarement bon !
Et la mode du vegan ?
Victor Mercier : On en propose à ceux qui nous le demandent. Mais pour sublimer un produit, c’est difficile de concurrencer un jus de volaille ou de viande bien réduit, non ? J’ai encore du mal à croire qu’un plat vegan puisse concurrencer un joli homard accompagné d’une réduction bien aromatique de têtes et de carapaces !
F.I.E.F. signifie Fait Ici En France. C’est politique ?
Victor Mercier : On vit encore sur un modèle hérité de l’après-guerre, c’est tout un système à changer. Sans camions à Paris, en auto- suffisance, on ne durerait pas plus de deux jours ! Et puis je trouve anormal qu’on privilégie l’exportation avant de nourrir son propre peuple. C’est un sujet qui me tient à cœur, mais que j’ai tenu à dépolitiser totalement. J’ai appris à me taire et à bosser. Si les gens veulent discuter de ça quand ils sont chez moi, il n’y a pas de soucis. Au départ, on en avait fait un discours, mais maintenant on fait notre boulot de restaurateur : restaurer les gens ! J’avais publié un manifeste à ce sujet, mais des politiciens dont je ne partage pas les idées ont tenté de récupérer mon propos. Alors je me suis dit : « Tais-toi, et fais à manger ! »
Avez-vous un plat signature ?
Victor Mercier : Je n’en ai pas vraiment. Il y a un danger à en avoir, c’est qu’on ne peut plus l’enlever de la carte. J’essaye de ne pas m’enfermer dans ce piège et de me bouger pour essayer de créer. Et depuis l’obtention de l’étoile, on a un peu ralenti sur ce point, car à trop innover on craint de sortir des critères du Michelin. C’est le revers de la médaille.
Quels sont vos mentors ?
Victor Mercier : J’aime bien dire que je suis un héritier indirect d’Alain Passard et de Michel Bras, car j’ai travaillé avec deux de leurs élèves, Antonin Bonnet et Pascal Barbot. Ils m’ont vraiment beaucoup apporté. Cette transmission est essentielle, car on n’invente jamais grand-chose. J’ai encore l’impression d’être dans le “suivisme”. Quand ce ne sera plus le cas, le temps sera peut-être venu d’avoir un plat signature !
Comment aimeriez-vous que l’on se souvienne de votre cuisine, quand vous aurez pris votre retraite ?
Victor Mercier : J’espère qu’on dira qu’elle était courageuse, qu’il y avait de l’intention, avec des partis pris et l’envie de bien faire.