Manon Fleury : étoile rebelle et engagée
De l’escrime au haut niveau aux fourneaux étoilés, Manon Fleury trace sa route avec la précision d’une fine lame et la fougue d’une révolutionnaire. À 33 ans, cette cheffe surdouée a décroché en 2024 sa première étoile Michelin pour son restaurant Datil, niché dans le haut Marais.
De l’escrime au restaurant étoilé : votre parcours est singulier. En quoi votre expérience sportive vous aide-t-elle aujourd’hui ?
Manon Fleury : « Mon désir d’indépendance m’a toujours guidée, d’abord dans ma formation sportive, puis dans mon choix de devenir cheffe et d’ouvrir mon propre restaurant. Mon parcours en escrime m’a donné méthode et discipline, essentielles en cuisine. Je me vois aujourd’hui comme une capitaine d’équipe, pas seulement une cheffe. »
Datil est un restaurant tourné vers la nature et le terroir. Quels défis cela pose-t-il en termes de sourcing ?
Manon Fleury : « Le luxe durable est notre priorité : valoriser des produits sains pour la terre et les gens. Notre cuisine végétale intègre tout l’ingrédient pour en maximiser le potentiel : beignets de fleurs, pralinés de graines, pickles de pistils… Nous travaillons avec des producteurs engagés, en nous adaptant à ce que la nature nous offre malgré le changement climatique. Pour nous, le plaisir doit avoir du sens. »
Que retenez-vous de vos expériences avec des chefs emblématiques comme l’Américain Dan Barber ?
Manon Fleury : « Ces expériences m’ont sensibilisée à l’importance du lien avec les producteurs. Depuis, je m’attache à développer des partenariats durables et à transmettre cette connexion à mon équipe. Notre cuisine est le reflet de cet écosystème autour du restaurant. »
Avec l’association Bondir.e, vous défendez la place des femmes et combattez les violences en cuisine. Quelles actions concrètes menez-vous ?
Manon Fleury : « Bondir.e intervient dans les écoles hôtelières pour sensibiliser aux violences en cuisine. Nos formations abordent la reconnaissance des situations de violence, les ressources juridiques, et nous créons un espace de parole pour les élèves. Nous avons également un pôle d’écoute structuré, et un programme de formation pour les managers. Nous faisons partie du mouvement Restaure, en collaboration avec d’autres associations. »
Votre première étoile Michelin, obtenue en mars 2024, valide une approche engagée de la gastronomie. Que représente-t-elle pour vous ?
Manon Fleury : « Cette étoile récompense la rigueur et la cohérence que nous mettons au service de notre vision. L’équipe, qu’il s’agisse du personnel en salle ou des producteurs, est composée de personnes de confiance, unies par cette passion. Cela demande de la préparation et une communication constante pour offrir une expérience fluide. »
Datil est constitué d’une équipe majoritairement féminine et d’une organisation horizontale. Comment cela influence-t-il la créativité en cuisine ?
Manon Fleury : « Nous recevons beaucoup de candidatures féminines, ainsi que des profils en reconversion, ce qui enrichit notre équipe. Inspirés par nos expériences, nous promouvons un dialogue constant et structuré. J’ai découvert ce type de communication en cuisine chez Dan Barber aux États-Unis, et cela transforme notre quotidien. »
Entre votre rôle d’ambassadrice des JO de Paris 2024 et votre étoile Michelin, vous incarnez une nouvelle génération de chefs. Comment utilisez-vous cette visibilité ?
Manon Fleury : « Représenter les femmes cheffes est essentiel : les jeunes générations doivent savoir que réussir en cuisine est possible pour elles aussi. Avec mon rôle d’ambassadrice, j’encourage chacun à suivre sa voie, que ce soit en cuisine ou dans le sport. Je souhaite inspirer, montrant qu’un parcours atypique peut mener au succès. »
Chez Datil, vous collaborez avec divers artisans. En quoi cela enrichit-il votre vision de la gastronomie ?
Manon Fleury : « Chaque élément du restaurant, des producteurs aux artisans, participe à son identité. Nous valorisons le geste, la matière, et le transmission au travers d’un livret remis aux convives. Cette démarche reflète notre sensibilité collective et notre engagement envers un savoir-faire local. »
Avec les enjeux climatiques actuels, quelle est votre vision de l’avenir de la haute gastronomie ?
Manon Fleury : « Notre alimentation impacte directement notre environnement ; le végétal doit y jouer un rôle central. En mettant le végétal au cœur de notre menu et en utilisant l’animal comme condiment, nous sensibilisons au rôle de la gastronomie dans la préservation de la planète. C’est une dynamique vertueuse à laquelle de plus en plus de chefs contribuent. »