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All that jazz.. and food !

En marge des restaurants festifs qui fleurissent à Paris, des clubs de jazz d’un genre nouveau proposent aux mélomanes de belles découvertes gustatives, à savourer autour de sets endiablés. Décryptage....

Il est 20 h 30 dans cette rue tranquille à quelques encablures des Champs-Élysées. Sur la façade sobre du Melville (28, rue Jean Mermoz, 8e), seules les lettres rouges indiquant Club de jazz laissent deviner l’ambiance survoltée qui y règne. Passé les portes, le visiteur est immédiatement imprégné de sonorités latines, où piano, guitare et maracas dialoguent le temps d’un set de jazz cubain. De prime abord, le Melville ne se distingue pas de ses confrères du Duc des Lombards, du Caveau de la Huchette ou autres Baiser Salé. Et pour- tant, ici, les clients ne font pas seulement appel à l’ouïe, ils viennent également déguster une cuisine de qualité, imaginée par le chef Malcom Ecolasse. « Ce n’est pas un phénomène nouveau. Déjà aux États-Unis, dans les années 1950, on dînait dans les clubs de jazz. Il suffit d’écouter cet enregistrement d’un concert de Bill Evans au Blue Note à New York en 1954 où l ’on entendait des bruits de couverts en guise de fond sonore », fait remarquer Sébastien Prat, cofondateur du Melville avec son associé, Laurent Macherey. La carte, avec des plats signature comme le Pas de fumée sans feu (angus fumé /œuf /radis blue meat) ou le Sushiso (shiso / aubergine graffiti / patate douce violette), évolue tous les mois. « Le chef pro- pose une cuisine inventive, singulière sans que ce soit non plus expérimental. Les clients savent exactement ce qu’ils ont dans l ’assiette », souligne Sébastien Prat. À l’instar du Melville, plusieurs clubs de jazz renouent avec cette tradition du dîner spectacle. C’est notamment le cas du Son de la Terre (5e), du Jazz Club Étoile (17e) ou des Bascules (2e), adresse née en 2023 et dont la carte visionnaire est signée par la Libanaise Melissa Nassif. « L’offre gastronomique permet une immersion totale. Ça donne de la noblesse à la soirée. On le voit également avec la renaissance des dîners dansants et des restaurants dits festifs. Depuis la crise du Covid, les Parisiens ont besoin de remettre du glamour et de la sophistication dans leurs sorties », ana- lyse Vincent Grégoire, expert des tendances au sein de l’agence NellyRodi. D’après ce dernier, un vent de nostalgie explique ce changement observé dans les néo clubs de jazz : « On renoue avec un imaginaire sélect où il s’agit de s’apprêter un minimum. L’idée n’est pas vrai- ment d ’aller écouter un jazz-band vêtu d ’un jean avec un verre de vin médiocre à la main. Post Covid, si l ’on demande aujourd ’hui aux gens de sortir de chez eux, c’est pour renouer avec l’idée que Paris est une fête », continue-t-il.

Le New Morning reste fidèle au jazz. Du jazz rien que du jazz et pas de menus gastronomiques ou d’assiettes à partager. Ici, le plat principal, c’est la musique.

Quid des clubs historiques ?

Mais si ces nouveaux clubs de jazz proposent une offre gastronomique à leurs clients, qu’en est-il des sacro-saintes adresses historiques? Certaines se mettent timidement à la page comme Le Duc des Lombards (1er), qui joue la carte de la finger food chic avec des planches de fromages et de charcuterie de chez Seguin Gourmet, tandis que le Sunset Sunside (1er) propose du saumon bio ou du jambon Serrano. Des adresses souvent prises en étau entre la volonté de se mettre au diapason des petits nouveaux et l’envie de rester un antre de jazz pur. Mais il est un établissement qui résiste à la tentation en ne proposant que de la musique à ses clients : Le New Morning (10e), l’un des doyens en la matière avec ses 43 ans d’âge. Un temple incontournable pour les puristes qui viennent se nourrir de jazz et uniquement de jazz, comme le montre la directrice dulieu, Catherine Farhi : « Nous ne proposons pas d’offre gastronomique. C’est un vrai choix. Ici, la musique n’est pas juste un fond sonore comme dans n’importe quel restaurant, même si je respecte ces autres types de clubs. » Elle s’inscrit ainsi dans la lignée familiale puisque sa mère, Eglal Farhi, a ouvert le club en avril 1981 avec déjà cette volonté farouche de se démarquer du modèle américain, fait de nourriture et de jazz : « La marque du New Morning est d’être fidèle à soi»,déclare-t-elle comme un étendard. Un constat partagé par certains artistes, frileux de se produire devant des clients en pleine dégustation. La chanteuse Cynthia Abraham, résidente permanente au Baiser Salé pendant sept ans se montre ainsi réservée sur ces nouvelles adresses qui conjuguent jazz et food : « Je pré- f ère dix fois les clubs spécifiquement axés sur le concert. Il est rare que les gens soient vraiment attentifs dès lors qu’ils mangent, en raison de la disposition de salle ou de l ’éclairage. J’ai du mal à être dans une transe musicale quand j’entends le bruit des couverts ou que je vois des serveurs passer », dit- elle avant de nuancer ses propos : « Néanmoins, mieux vaut qu’il y ait plus de clubs de jazz à Paris, fussent-ils avec une offre gastronomique, que pas de club du tout ! »

Niché au sous-sol de Public House, le club de jazz Divine House, dans un décor signé Laura Gonzalez, a ouvert ses portes début octobre.

Un genre démocratisé

Autrefois considéré comme une musique de niche, le jazz revient donc peu à peu sur le devant de la scène avec ces clubs qui parient sur l’alliance du son et de la bonne chère. Motivés par des succès cinématographiques comme Whiplash ou La La Land signés tous deux par Damien Chazelle, de plus en plus de jeunes fréquentent ainsi des établissements incontournables comme Le Caveau de la Huchette (5e). Et dans les clubs gastronomiques, les férus de contre- basse et saxophones côtoient désormais une clientèle plus néophyte mais aisée, ravie de découvrir ces sons mythiques autour d’un plat qualitatif. Et cela n’est pas près de s’arrêter. Le jazz continue de séduire les Parisiens dans toujours plus d’endroits comme c’est le cas chez Chiquette, le restaurant de l’Hôtel Le Cinq Codet (7e) qui propose désormais des soirées musicales et gourmandes tous les mercredis et jeudis soir. Rive Droite, Divine House a ouvert ses portes début octobre. Nichée au sous-sol du très british Public House (2e), cette nouvelle adresse à l’atmosphère feutrée (moquettes damier, murs aux motifs écossais…) s’an- nonce déjà comme un repère privilégié pour les mélomanes… et les gourmets ! Comme le disait si bien MC Solaar, « si le rap excelle, le jazz en est l ’étincelle ».

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Lieu mythique pour tous les amateurs de jazz, Le Caveau de la Huchette a servi de décor pour de nombreux films y compris pour celui multi-oscarisé de Damien Chazelle La La Land.

Le Jazz immersif

Surfant sur l’envie des Parisiens de goûter à l’ambiance jazz des années 1950, l’agence Sculpteurs de rêves a lancé il y a quelques mois l’expérience immersive “Cabaret Rive Gauche”. Dans le véritable cabaret où Jacques et Pierre Prévert assuraient la direction artistique, devenu aujourd’hui  le musée Maillol, le concept invite à un retour dans le passé, aux côtés de Boris Vian et de la toute jeune Monique Cerf, qui deviendra Barbara. Pendant deux heures, dans cette cave voûtée de Saint-Germain-des-Prés, autour d’un verre ou d’un cocktail élaboré par le “pianocktail” – la célèbre invention de Boris Vian – les visiteurs interagissent et s’adonnent à différentes activités avec huit acteurs. On y danse et on y chante même sa chanson de jazz, préalablement écrite durant un atelier d’écriture animé par un comédien jouant Boris Vian, auteur de L’Écume des Jours. Il n’est pas rare, en sortant de cette expérience, d’être atteint d’une douce nostalgie heureuse.

  • « Cabaret Rive Gauche ». Musée Maillot. 59 – 61, Rue de Grenelle, Paris 7e 
  • Infos et réservation sur https://www.cabaretrivegauche.fr/

Théâtre, jeux de rôle et spectacle vivant, c’est ce trio surprenant qui attend les visiteurs au Cabaret Rive Gauche situé au sein du musée Maillol.

Par Paola Dicelli et Antoine Le Fur - Publié le

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