Le champagne en fêtes avec Arnaud Faye
Autant de médailles qui viennent orner sa veste de Meilleur ouvrier de France et garantir aux chanceux découvrant sa cuisine dans le palace de la capitale un moment pas comme les autres. Sous sa houlette, les assiettes scintillent mieux que jamais. Et les yeux des convives aussi. Les verres posés devant eux ne sont pas en reste car ce passionné aux sens en alerte aime autant ce qui se mange que ce qui se boit. L’homme ne pouvait donc qu’être le chef d’orchestre de notre dossier festif qui veut sceller la rencontre entre les plus belles bulles et les meilleurs plats. Attentif aux « gestes nobles des artisans qui contribuent, avec enthousiasme et émotion, à créer la plus belle des expériences », ceux qui « révèlent les splendeurs de nos régions » et viennent à ses côtés «sublimer des produits d’exception», il convie à un voyage des sens qu’est l’instant de la « haute gastronomie » pensée comme telle. Son tourteau de Bretagne sarrasin et salicornes, sa langoustine royale de casier cèpes d’Auvergne et fenouil avec bouillon crémeux, ses noix de saint-jacques de Normandie visitées par des gnocchis au cresson et caviar, son turbot du Finistère avec carottes de Touraine, verveine et fumet réduit à la carotte et gingembre… sont des rêves de mers, des départs de grandes traversées. Tandis que son pigeon de Pornic agrémenté de maïs des Yvelines, champignons des bois et jus réduit de cardamome noire, ses mignon et ris de veau de lait de Corrèze avec céleri de Nouvelle-Aquitaine et noix fraîches de l’Isère ou sa volaille de Bresse en deux services ravissent les amateurs de viandes aux goûts différents. Tous seront en tout cas frappés par l’attention portée aux origines des mets. Une tradition au Bristol, maison qui produit son propre miel, son propre chocolat et même son pain à partir de grains et farines non génétiquement modifiés et sans gluten… «Aujourd’hui, notre cuisine est plus orientée sur le végétal, les herbes, avec des évocations de voyages transposées dans des épices… le tout en une sorte de classicisme revisité qui fait la part belle aux producteurs rigoureux dont je connais le travail depuis longtemps, avec qui un pacte de confiance s’est noué », explique le chef. Une harmonie d’approche, une quête du summum qui s’étend évidemment aux mets que les adeptes des cuisines de palace attendent : la sole, le caviar, la truffe, etc.
Dès lors, le champagne, au sein d’Épicure comme sur les autres tables du Bristol, on le déguste avec panache et envie certes, mais surtout on le regarde avec sérieux et respect. Arnaud Faye et son chef sommelier Baptiste Gillet-Delrieu sélectionnent des maisons renommées parce que leurs vins le sont bien sûr, mais surtout parce qu’ils sont élaborés tout en patience, attention, tradition quand il le faut, audace parfois, intelligence, conscience et soin toujours. « Je suis un passionné de vins au sens large du terme, raconte le chef. Un bon et grand repas ne se conçoit pas sans. » Sa propre éducation au monde des bulles, il l’a faite progressivement. Si, comme beaucoup, le premier contact a eu lieu en « piquant une gorgée dans le verre d’un adulte lors d’une communion », Arnaud Faye a ensuite franchi bien des étapes pour façonner son Panthéon champenois personnel. Bu en famille quelquefois en dessert lors des moments de fête (c’était l’époque) puis appréhendé en apéritif et en vin au fil de sa formation dans la restauration (BEP et Bac Pro en 1999, expériences dans différents Relais & Châteaux), c’est chez Bernard Loiseau qu’il y prend vraiment goût. « La cave était incroyable, et le champagne s’y voyait déjà envisagé comme capable d ’accompagner des plats. Je me souviens encore d ’un Billecart-Salmon 1993 comme d’avoir dégusté ma première bouteille de Krug, une cuvée chère que je n’avais pas les moyens de m’offrir et dont la personnalité m’a fasciné. C’est dans ce grand restaurant que j’ai compris, puis appris la richesse des plaisirs gustatifs procurés par les beaux champagnes et pu façonner ma palette de goûts. » « Ambassadeur depuis des années de Krug, je suis admiratif des vins à l’esprit précis de cette maison mythique comme du travail incroyable de l’équipe qui les fait. » Mais le chef se dit aussi curieux des petits producteurs hyper exigeants et talentueux. « La découverte de la maison R. Pouillon & Fils, située à Mareuil-sur-Aÿ, a été une très belle rencontre, dit-il. Ces vignerons indépendants ont une approche originale de leur métier et créent des vins très personnels, qui permettent des associations avec des plats passionnantes, comme des moments de partage fabuleux. » Et n’est-ce pas la magie des beaux et grands champagnes que de faire pétiller autant d’étoiles dans les yeux que celles que lui-même a conquises dans sa carrière et qu’il fait étinceler au Bristol ?
Cristal 2016 de Louis Roederer
“La Champagne a ses stars, ses mythes même… le Cristal Louis Roederer en est un. Une renommée que j’ai découverte lorsque je travaillais chez Loiseau et qui m’a marqué. Déjà, la transparence de la bouteille est un message de lumière, d’or que l’on boirait avec délice… Des promesses non démenties à la dégustation. L’émotion, dès le regard, est là ; ensuite elle se perpétue. Ce champagne, riche, puissant, doué de notes subtiles et délicates, est une référence permanente, la préférence de bien des clients. Cette aura ne tient pas au hasard. Son millésime 2016 n’est pas en reste, lui qui fait résonner sa prestance par une tonalité différente. Cette année tardive avec un été à la chaleur caniculaire et un terroir crayeux unique a forgé une édition de Cristal que la maison de champagne qualifie de “phénoménale”. Moi, je savoure son équilibre, entre intensité des parfums et énergie de sa dimension saline. Une présence marine que je ne peux qu’accompagner d’un tourteau. La texture de ce crabe d’exception venu de Bretagne, associé à des salicornes, du sarrasin, une mayonnaise légère au corail me paraît signer un grand moment du goût. ”
Dom Ruinart Blanc de Blancs 2013
“Plutôt mesuré dans mes expressions, je recours rarement aux termes exagérément flatteurs. Mais le Dom Ruinart Blanc de Blancs 2013, c’est un peu autre chose, lui qui traduit un travail incroyable. Déjà, en elle-même la cuvée est un mythe. Mais ce millésime 2013 va plus loin. Sa complexité aromatique, sa grande fraîcheur au nez, cette expression du chardonnay provenant de terroirs d’exception et vieillie plus de dix ans en caves sous liège (c’est-à-dire avec des bouchons en liège et pas des capsules métalliques comme d’ordinaire) en font une référence. Les notes de fruits secs évoquant l’amande et le blé mûr, les parfums de fruits juteux et d’agrumes, les senteurs de fleurs printanières… s’accordent au mieux avec la sole. Qu’ici on sélectionne du Morbihan et marie avec les notes salines d’une crème de coques, forces iodées contrebalancées par la fraîcheur de ce vin. Une telle alchimie fait honneur au travail de Ruinart, grande maison qui a toujours suivi les grandes maisons où moi-même j’ai travaillé… Partout, dans les étapes de ma carrière, il y avait, par exemple, du Ruinart à la coupe. Alors penser cette référence du champagne avec un plat fait forcément pétiller mon imaginaire. ”
Moët & Chandon Grand Vintage 2016
“Je sais, cela va surprendre. Parce que dans bien des esprits, certaines plantes dites potagères ne sont pas considérées comme assez nobles ou fastueuses pour être couplées avec le roi des vins qu’est le champagne, qui plus est signé Moët & Chandon. Notamment parce que ce bulbe, d’une saveur et d’une odeur considérées comme fortes, véhicule des clichés de cuisine “populaire” qui ne serait ni raffinée ni subtile, etc. Mais qu’importe : c’est bien un oignon que je mets en avant avec le Grand Vintage 2016. « Unique, mature, complexe, charismatique », selon la maison, cette cuvée l’est. Le nez de pain et noisette grillés, de céréales toastées, les notes fruitées et florales de prune, de coing, de fleur d’oranger et d’anis, l’attaque ronde et souple, la structure avec une finale de clémentine et pomelo, méritent une audace adaptée. Dès lors, “mon” oignon ne sort pas de nulle part, mais vient de la
maison Caillot, dont les terres se trouvent en champagne crayeuse. Et il se voit travaillé dans une soupe revisitée car truffée et agrémentée de parmesan. La fraîcheur de ce Moët, ses notes briochées vont contraster avec la puissance saline du fromage italien et les parfums intrigants de l’oignon champenois. Osons. ”
Amour de Deutz 2013
“S’il est un nom qui parle d’emblée au cœur des passionnés de Champagne, c’est celui-ci. Comment ne pas avoir envie d’être tenté par un tel engagement des sens ? Et quand on sait que derrière cet Amour c’est la maison Deutz qui officie, s’annonce forcément un grand moment. Eh bien, la promesse est tenue dès qu’on voit cette bouteille dont la forme est reconnaissable de dos, dont le médaillon est collectionné par beaucoup. Et sa dégustation ravit plus encore. Festif, souvent choisi en apéritif pour entamer en fanfare un repas, Amour de Deutz est une référence. Le millésime 2013 présenté ici, aussi. Fruits d’une vendange particulièrement tardive, les chardonnays récoltés sont magnifiques. Bel or clair profond, nez charmeur en équilibre avec notes de fleurs, d’ananas rôti, d’agrumes ensoleillés, une finale minérale et saline lui apportant une dimension supplémentaire… un vrai plaisir. Cette salinité et cette fraîcheur, à mes yeux vont avec une huître en amuse-bouche dont le côté gras, rond, iodé, sera savoureux. Une huître que l’on travaille en gelée de kombucha avec citron, feuille d’olivier et envolée de Limoncello. De la fraîcheur avec une pointe d’acidité, quoi de mieux pour inaugurer le feu d’artifice d’un beau repas ? ”
Taittinger Comtes de Champagne Grands Crus Blanc de Blancs 2013
“Là encore, quelles maison et cuvée inspirantes ! Avec un tel Blanc de Blancs, on sait que l’on va savourer du beau. Ouvrir à l’improviste une bouteille de Comtes de Champagne Grands Crus Blanc de Blancs 2013 avec des amis, c’est assurer à tous un vrai plaisir. Un moment rare qui tient à la composition de chardonnays provenant des villages classés Grands Crus de la Côte des Blancs en Champagne, terroir qui s’étend sur une bande de seulement vingt kilomètres où la craie en surface crée un réservoir naturel d’eau et de chaleur propices à l’épanouissement de ces raisins blancs. Et leur procure minéralité, puissance et finesse aromatique. Robe jaune étincelante, densité des saveurs d’agrumes mûrs et de notes pâtissières, en bouche une empreinte marquée par le gingembre et la réglisse, ce vin révèle l’austérité saline et minérale des Grands terroirs de la Côte des Blancs. Dès lors, le mets qui s’impose… c’est le homard. Un homard bleu de la Côte d’Opale dont la texture ferme se mariera très bien avec celle du vin, un homard travaillé avec de la courge d’Île-de-France, du yuzu, une vinaigrette
à l’huile de tagète. Un mariage qui sera heureux, comme ceux qui découvriront une telle association. Du moins, je l’espère. ”
Krug Grande Cuvée 172e édition
“Voilà une maison si chère à mon cœur et à mon palais que j’en suis l’ambassadeur depuis plusieurs années. C’est à la Chèvre d’or que s’est nouée cette amitié gustative et humaine. Comme je ne mets en avant que ce que j’aime, nous avions notamment proposé la Grande Cuvée à la coupe. Et quelle découverte pour bien des clients. Aussi, la 172e édition de ce que la maison champenoise qualifie de “rêve du fondateur” puisqu’il s’agit, depuis 1843, de « recréer chaque année le meilleur champagne indépendamment des aléas climatiques » me parle. Imaginez : 146 vins issus de 11 années différentes, le plus ancien remontant à 1998 et le plus jeune à 2016, assemblés et ayant attendu sept ans en caves. Des arômes de fleurs blanches, de lavande et d’amande, en bouche des fruits plus blancs que jaunes complétés par des agrumes dont le fameux citronné Krug Grande Cuvée, une finale avec des pointes d’eucalyptus et des notes mentholées… Voilà de quoi m’inspirer. Cette prestance je l’associe à la carotte. Une carotte de Touraine, avec une sauce où s’expriment un infini de verveine, du gingembre, des notes de citrons bio. Le tout comme compagnons d’un turbot du Finistère, ce grand poisson produit de l’année pensé autrement. ”
Perrier-Jouët Blanc de Blancs
“Perrier-Jouët, un nom référence que l’on a vu au cinéma (ah! James Bond) comme dans de nombreux restaurants étoilés depuis des générations. Il est vrai que les ornementations florales de sa bouteille Art Nouveau ont fait le tour du monde et l’identifient d’emblée. Mais c’est le Blanc de Blancs qui se voit cette fois à l’honneur, un champagne vif et spontané, dont les notes fraîches d’agrumes et les saveurs florales traduisent le chardonnay, mais interprété, selon la maison, de façon “inédite”. Chez Perrier-Jouët, on le compare à un « velours à la texture soyeuse, issu d’une cuvée vive et dynamique mais également doté d’une substance et d’une densité sublimes avec une grande élégance ». Comme la maison a beaucoup travaillé ses vins, comme j’aime ses arômes de fruits jaunes croquants, de poire, de fleurs blanches, ses notes de pain toasté et beurré, de noisette aussi, l’association idéale me semble être “simplement” avec du caviar. Sans rien d’autre. Le côté iodé de celui-ci, voire noisette avec l’osciètre, et la vivacité élégante de la cuvée se compléteront parfaitement. Pour apprécier un beau moment et avoir l’assurance de ne pas se tromper, faire
compliqué n’est jamais obligatoire! ”
Grande Dame 2015 Veuve Clicquot
“Merci à Paris Capitale. Pourquoi? Parce que, et cela va peut-être étonner, avant l’élaboration de ce dossier Champagne je n’avais pas dégusté de Grande Dame Veuve Clicquot depuis longtemps. Aussi, pour les besoins de votre article (notez l’ampleur du sacrifice), avec Baptiste Gillet-Delrieu, mon chef sommelier, nous avons réparé cette lacune. Et j’ai pu renouer avec cette cuvée de prestige, le 24e millésime d’une collection lancée en 1962. On sent qu’une année solaire exceptionnelle a présidé à ce vin tout en tension et élégance, constitué à 90 % de pinot noir. Notes florales d’acacia, de lilas, de jasmin, notes fruitées de pomme granny smith, de poire, d’agrumes, la fraîcheur du poivre blanc, du gingembre, la minéralité de la craie… le moment est d’exception. Pour un monument comme la Grande Dame Veuve Clicquot, je mise sur la langoustine royale de casier servie en pot-au-feu dans un bouillon de bœuf, bouillon infusé de mélisse et citronnelle qui lui apporte de la fraîcheur. La sucrosité de la langoustine enrobée de la texture crémeuse du champagne et de la puissance de cette Grande Dame devrait marquer les papilles et les esprits. ”
Cuvée Solera de R. Pouillon
“À côté des “grandes” maisons de champagne, des vignerons indépendants produisent des cuvées qui valent elles aussi le détour. J’aime particulièrement la maison R. Pouillon & Fils, installée à Mareuil-sur-Aÿ. Ces artisans de la vigne et du vin allient la tradition champenoise à des techniques modernes : culture biologique avec labours à cheval, végétation diversifiée sur les sols, pressurage qui se fait sur la durée et la pression des baies plus que sur le volume, etc. Premier cru, extra brut, moitié pinot noir moitié chardonnay, le Solera est leur vin générationnel, avec des « millésimes assemblés successivement depuis 1997 jusqu’à aujourd’hui », les jeunes et les âgés se bonifiant mutuellement. En somme, plein de vins en un seul vin. Qui ne convient pas en apéritif, mais demande à avoir un plat pour exprimer son identité. Ce champagne puissant et vineux
va de pair avec une poularde de Bresse. Il accompagne la fermeté de sa chair, relève le toasté de sa peau croustillante, met en valeur ses notes de Cazette, cette noisette spéciale du Morvan. On la sert d’abord en suprême avec poireaux, champignons de Paris et capucine, bisque d’écrevisse et le fameux jus, puis en boudin de volaille avec sauce suprême aux écrevisses. ”
Gosset Celebris Vintage 2012
“Ce qu’il y a de merveilleux avec un beau champagne, c’est qu’il s’accorde aussi bien avec un mets ultra-coûteux qu’avec l’un des le résultat envoûte. Si je marie une autre cuvée de ce dossier avec du caviar par exemple, symbole du luxe gastronomique, produits les plus simples et même basiques qui soient. Et que, toujours, lorsque cette alliance vin-plat est pensée, puis travaillée, le Celebris Vintage 2012 de Gosset me donne envie de mettre en avant la richesse infinie de l’œuf. Celebris, c’est l’élite, le summum, le confidentiel de cette maison familiale et indépendante installée à Aÿ. Et ce 2012, la neuvième édition d’une cuvée née il y a 35 ans. Un assemblage à majorité de chardonnays ; un vieillissement en caves de 10 ans minimum ; un dosage modéré ; un nez marqué par la fraîcheur de la poire et des notes d’orange douce et de pamplemousse ; un vin structuré avec en bouche une attaque de fleurs de vanille qui évolue vers des arômes de groseille à maquereau, de framboise, de cerise rouge… Le tout apparaît comme un appel au goût. Auquel j’ai envie d’insuffler un peu de gras en le magnifiant avec de l’œuf, soit mollet au cresson, soit en sabayon d’une tartelette de céleri, la bulle fine et délicate du vin y apportant un succulent contraste. ”