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Quand le passé sulfureux de Paris s’éveille

Ah les petites femmes, les petites femmes de Paris chantaient Brigitte Bardot et Jeanne Moreau, tandis que Serge Lama vantait Les P’tites Femmes de Pigalle. Paris, ville de l’amour avec ses rues de la Fidélité ou du Paradis, des plaisirs tarifés avec sa rue Trace-Putain dans le 3e, Brisemiche dans le 4e ou encore de la Longue-Queue dans le 16e, n’en finit pas de surfer sur son passé sulfureux. Une plongée dans un monde de turpitude mais avec tact et raffinement

Qu’elle est loin l’époque où, sous la IIIe République (entre 1870 et 1940), Paris recensait plus de deux cents maisons closes dont certaines avaient acquis une réputation à l’international. Sulfureuses certes, mais ultrachic… Les grands de ce monde s’y rencontraient autour d’un verre et partaient, ou non, commencer d’autres plaisirs plus charnels auprès de pensionnaires parfois vêtues par les plus grands couturiers du moment ou de tenues orientales comme au Chabanais. Rue Chabanais, donc, dans le 2e arrondissement, tout près du Sénat, Maupassant et le roi Édouard VII comptaient parmi les habitués qui, lors de leur passage dans la capitale prétextaient « une visite au président du Sénat ». Aujourd’hui, il ne reste rien des trente pièces décorées selon un thème différent. Telle la célèbre chambre indienne du 5e étage ornée de miroirs, du sol au plafond, dans laquelle le futur roi Édouard VII se prélassait dans une baignoire en cuivre remplie de champagne. Celle-ci fut acquise par Salvador Dalí lors de la vente aux enchères, le 8 mai 1951, du mobilier de ce lieu raffiné et élégant qui rivalisait avec les plus grands palaces parisiens. Le même sort a frappé le Sphinx, fondé en 1931 au 31 boulevard Quinet dans le 14e, qui était réputé pour sa bluffante décoration néo-égyptienne et son bar Art déco où l’on pouvait simplement profiter des services de restauration et de divertissement…sans aller plus loin. Lupanar de luxe, le Sphinx était le rendez-vous, licencieux, des artistes comme Foujita, Pascin, d’écrivains ( Joseph Kessel, Jacques Prévert, Jean-Paul Sartre, Colette, Ernest Hemingway), de Cooper), de politiciens et hauts fonctionnaires et, aussi, de gangsters des années trente. Du beau monde…En 1962, des promoteurs rayent de la carte le bâtiment et ses “chauds et langoureux” souvenirs, seuls furent sauvés les fresques de Kees Van Dongen et les décors égyptiens. Ce lieu de débauches abrite désormais la Banque Populaire Rives de Paris, on espère qu’il s’y passe moins de turpitudes… financières, cette fois, qu’à la grande période d’avant-guerre.

On ne peut s’intéresser au Paris sulfureux, sans citer le One- Two-Two qui participe aussi à la légende de ce Paris des années 30 qui se targuait d’être la ville de la fantaisie en Europe.Derrière une façade ordinaire,au 122 rue de Provence, le One Two Two acquiert une réputation très hype de 1924 à 1946, mais vit une période trouble pendant l’occupation alle- mande. Ici, pour la décoration des vingt-deux chambres de cet ancien hôtel du prince Murat, les propriétaires ont fait appel aux meilleurs décorateurs de cinéma. Chambre corsaire et son lit à baldaquin qui tangue au rythme du roulis, cabine de l’Orient-Express reconstituée, avec bruitage du train dif- fusé par haut-parleur et en option,irruption d’un faux contrô- leur chargé de se joindre aux ébats, chambre igloo, grenier à foin ou tipi indien…il y avait le choix pour tous les fantasmes.

1946 sonne le glas de cette période licencieuse

Ces lieux ultrachic et libidineux où se croisaient des gens « de bonne compagnie » n’étaient que la partie glamour derrière bien d’autres établissements sordides. Tout s’arrête en 1946, avec la fameuse loi de Marthe Richard, ancienne prostituée, aviatrice et conseillère du 4e arrondissement, qui impose la fermeture de toutes les maisons de plaisirs en France et à Paris. Une nouvelle ère commence. Les mœurs se sont-elles assagies, rien n’est moins sûr… désormais tout se fait sous le manteau. Quant aux établissements chic et haut de gamme, ils sont les premiers à disparaître. Pourtant, Paris, ville de l’amour et « capitale des divines tentations », selon l’écrivain Zoé Valdés, n’en a pas fini avec son passé de luxure.

 

 

Près de Pigalle, lieu de débauche s’il en est, Maison Souquet, au 10 rue de Bruxelles dans le 9e, fait revivre avec classe et talent les heures chaudes du passé. Les créateurs de Collection Maisons Particulières ont demandé au décorateur Jacques Garcia de transformer le lieu, une école de jeunes filles construit en 1869 et devenue un bordel de 1905 à 1907, en un«palais de l’hédonisme 5 étoiles».C’est une réussite totale pour un établissement spectaculaire et en même temps au charme intime. Jacques Garcia a repris avec brio les codes d’une maison de plaisirs parisienne avec des boiseries sculptées, des placages en cuir de Cordoue, du marbre rouge, des dorures… et les deux lanternes rouges à l’entrée. On peut même oser écrire qu’il pousse le vice à choisir exclusivement des tableaux et livres antérieurs à 1907, période faste de la prostitution huppée. Avant de monter dans les étages, où chaque chambre porte le nom d’une courtisane de la Belle Époque (Liane de Pougy, la Belle Otéro, Païva, etc.), on pénètre dans une succession de salons, celui de discussion, de présentation (aujourd’hui bar boudoir sombre à souhait) et, enfin, celui « d’après », dernier espace avec son fumoir. Il y a même au sous-sol un «salon d’eau»,avec hammam et bassin de nage de 10 mètres sous une constellation dorée à la feuille sur fond de ciel bleu cobalt. Une plongée dans un monde d’avant où on n’a gardé que le côté chic et glamour…

Pour se confesser… ou assouvir ses désirs

Si Maison Souquet s’appuie sur un passé authentique, le groupe Evok, lui, a choisi de donner son interprétation des lieux de plaisir en se référant à l’héritage du quartier du Marais. Ainsi est né Sinner, au 116 rue du Temple. Ici, l’architecte Tristan Auer cultive une atmosphère ésotérique chic pour cet hôtel 5 étoiles qui mixe des codes mystiques à des références années 70. On traverse des coursives aux vitraux évocateurs, on pousse de lourdes portes à heurtoirs rouge cardinal, l’air est saturé d’effluves d’encens et de benjoin, et le couloir éclairé à la lueur d’un authentique chandelier.Un véri- table confessionnal orné de croisillons en bois est transformé en business center avec ordinateur et siège en cuir, tandis que la boutique prend des allures de crypte enfumée, parée d’ex- voto aux formules plutôt osées et sans ambiguïté « Remerciement pour une jouissance obtenue », « En recon- naissance pour faveurs assouvies »… Le Sinner, sous des airs provocateurs, intrigue, séduit et redonne à Paris un petit goût d’interdit… tout à fait licite cette fois. Car Paris s’assagit de plus en plus. La rue Saint-Denis a perdu ses 1800 prostituées des années 80 qui officiaient dans les studios d’immeubles aujourd’hui investis par de fringants trentenaires. La gentrification a eu raison du plus « vieux métier du monde » qui n’a plus l’heur de s’afficher dans les couloirs au bas des habitations. Même le musée de l’Érotisme à Pigalle (au 72 boulevard de Clichy) a fermé ses portes en 2016 et les deux mille objets polissons de sa collection ont été vendus au plus offrant par la maison de vente Cornette de Saint Cyr.Le dernier cinéma X de Paris, le Beverley au 14, rue de la Ville- Neuve dans le 2e tout près du Grand Rex, a lui aussi donné sa dernière séance le 23 février 2019. La fin d’une époque, expliquait Maurice Laroche, le gérant de l’établissement pendant 25 ans, qui a vendu ses 90 fauteuils en skaï rouge, ses affiches et plus de 200 films porno sur pellicules.

Paris sensuel, Paris canaille…

Mais Paris résiste tant bien que mal. Si le Lido a changé de vocation, son grand rival Le Moulin Rouge et son célèbre french cancan continuent d’attirer les foules et les étran- gers, Américains en tête, depuis la sortie du fameux film sorti en 2001 avec Natalie Portman. Marina de Bono avec son Paris Burlesque Show mise sur cette tendance érotico soft et de bon aloi. Elle organise des soirées-dîners où les invités, en sirotant une coupe de champagne, assistent à des séances d’effeuillage chic et glamour à La Nouvelle Eve, au pied de la butte Montmartre, 25 rue Pierre-Fontaine
dans le 9e (Glamour and Garters, le 16 décembre). Un lieu qui a connu bien des noms et des affectations : une éphémère revue nue dans les années 20-30, et le nom de théâtre du Vice et de la Vertu ou encore du théâtre du Sex-Appeal en 1933. Autre lieu, le restaurant Mistinguett au Casino de Paris (16, rue de Clichy, 9e) accueille une fois par mois un spectacle du Paris Burlesque Show et, le 19 janvier, c’est le très sélect Cercle Interallié (33, rue du Faubourg-Saint-Honoré, 8e) qui met à l’honneur un Grand Gala Burlesque où l’art de l’effeuillage reprend les codes esthétiques des Pin-up des années 1950 et 60. Et bien sûr, l’incontournable Crazy Horse, au 12 avenue George-V dans le 8e, et ses spectacles d’effeuil- lage et de danse, tout en élégance et en finesse. Envie d’en savoir plus sur le Paris de la luxure ? Il ne vous reste plus qu’à vous inscrire à l’une des visites guidées organisées par Paris Zig Zag qui propose de vous “replonger dans l ’Histoire des célèbres maisons closes et cocottes parisiennes du Palais Royal à la fameuse rue Saint-Denis en passant par les Grands Boulevards”. La dernière en date est prévue le 9 décembre et pour les autres il suffit de se rendre sur leur site www.paris- zigzag.fr/visite/le-paris-de-la-luxure

 

Peut-être passerez-vous, lors de cette balade, rue Blondel dans le 2e devant Aux Belles Poules, la dernière-née des maisons closes qui s’est reconvertie en un espace de réception privatisable. Elle a gardé, ou plutôt retrouvé, ses fabuleuses mosaïques érotiques et ses immenses miroirs Arts déco classés aux Monuments historiques depuis 1997. Au fil des ans,ils avaient été masqués par des panneaux de bois lorsque le lieu servait de magasin puis de bureaux.Autre arrondissement, autre lieu, l’hôtel Amour, rue de Navarin (9e), fut autrefois un hôtel de passe. Il a conservé le nom et l’enseigne en néon rouge “amour”attire tous les regards.De ce passé coquin,l’hôtel,repris par la famille Costes,a com- mandé à des artistes de renom Marc Newson, Sophie Calle, Pierre Le Tan, etc. de décorer les chambres. En clin d’œil à son affectation d’origine, quelques touches érotisantes ont été ajoutées comme une baignoire au bout du lit, une douche double, une cabine de bateau habillée de bois, des lits superposés… Chacun sa conception de l’amour…

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