Cinéma : les salles vers un nouvel âge d’or ?
Un jour de deuil. Le 13 juin 2024, la fermeture de l’UGC Normandie lais- sait orphelins de nombreux cinéphiles qui avaient l’habitude de se rendre dans cette salle iconique des Champs-Élysées, inaugurée en 1937. Une fermeture qui s’explique par trois facteurs: une chute brutale de la fréquentation ces dernières années, une avenue toujours plus touristique et délaissée par les Parisiens ainsi qu’une forte augmentation des loyers. « Plusieurs cinémas de la capitale sont devenus obsolètes. Lorsqu’une salle est trop ancienne comme c’est le cas avec l’UGC Normandie, les travaux pour tout remettre aux normes coûtent très cher. Si on ajoute à cela un changement dans les habitudes des Parisiens qui ne se rendent plus vraiment sur les Champs-Élysées, alors il ne reste plus beaucoup de choix », note Thomas Paris, professeur à HEC et auteur de l’ouvrage Économie du cinéma (Éditions de la Découverte). À l’instar de l’UGC Normandie, d’autres salles de la plus belle avenue du monde ont également baissé le rideau ces dernières années. Il y a d’abord eu la fermeture du Gaumont Champs-Élysées Ambassade en 2016 puis celle, quatre ans plus tard, de l’UGC George V à la suite du premier confinement lié à la pandémie de Covid-19. La série noire ne s’arrête pas là puisqu’en décembre 2023, c’était au tour du mythique Champs-Élysées Marignan de cesser son activité, après 90 ans d’histoire. Des fermetures qui étaient inévitables d’après Axel Huyghe, spécialiste des salles de cinéma et fondateur du site salles-cinema.com : « Les banlieusards, qui avaient jadis l’habitude de fréquenter les établissements de cette avenue, ne viennent plus. D’une part, cela s’explique par de nombreuses constructions de multiplexes en banlieue. Par ailleurs, d’autres cinémas parisiens attirent désormais davantage les spectateurs, à l ’image de l ’UGC Ciné Cité des Halles. Outre ses 3 819 places réparties sur 27 salles qui en font le plus grand complexe d ’Europe, il se situe à l ’intersection de nombreux transports franciliens, ce qui explique son succès qui ne faiblit pas. »
Le retour en grâce de plusieurs salles
Si Paris a connu plusieurs fermetures d’établissements emblématiques ces dernières années, d’autres cinémas ico- niques ont néanmoins connu un retour en grâce. C’est notamment le cas du Pathé Palace, anciennement Gaumont Opéra, qui a rouvert ses portes au public en juillet 2024 après cinq ans de travaux. Un nouveau lieu de prestige qui a bénéficié du concours de plusieurs artistes de renom puisque le bâtiment est l’œuvre de l’architecte Renzo Piano (l’homme derrière le Centre Pompidou, entre autres). En outre, le bar Art déco du cinéma, disponible même pour ceux qui ne viennent pas regarder un film, est signé du décorateur Jacques Grange. Sans oublier le fameux mur à vins en libre-service ou Wine Wall dont les 24 références ont été sélectionnées par les équipes de sommellerie du restaurant Taillevent. À cela s’ajoutent d’autres prestations (service au fauteuil, vestiaire, bar à pop-corn…) qui participent véritablement à l’expérience du lieu. « C’est un cinéma magique. Je pense que c’est l’adjectif qui le définit le mieux », déclare émerveillée, Laure de Boissard, directrice générale de Pathé Cinéma. Seule ombre au tableau ? Le prix. À 25 € la séance, l’expérience du Pathé Palace a suscité de nombreuses critiques lors de son ouverture. Des reproches que Laure de Boissard balaie d’un revers de la main : « Nous sommes un lieu unique en France. En termes de sortie culturelle, cela coûte tout de même moins cher qu’une place de théâtre ou d’opéra. De plus, nous avons également lancé récemment une nouvelle offre avec le Ciné Pass Gold. Pour 39,90€ par mois, cet abonnement permet d’avoir accès à toutes les salles du groupe Pathé. » Outre le Pathé Palace, la société est également derrière la flamboyante renaissance de La Géode. Depuis décembre 2024, le célèbre dôme du parc de La Villette attire de nouveau des férus de documentaires scientifiques, après six ans de travaux. Avec une nouveauté : tous les soirs, un blockbuster est projeté. Dans un amphithéâtre incliné à 27°, la séance de cinéma traditionnelle prend des airs d’expérience. Les réouvertures de salles emblématiques ne s’arrêtent pas là puisque le deuxième trimestre 2025 devrait marquer la renaissance de la mythique Pagode, classée aux Monuments historiques. Fermé depuis novembre 2015, le dernier cinéma du 7e arrondissement a bénéficié d’une importante rénovation sous l’impulsion du milliardaire américain Charles S. Cohen. La Pagode 2.0 devrait compter quatre salles contre deux autrefois. De quoi réjouir les attentes des nostalgiques de ce cinéma incontournable de la Rive gauche dont la réouverture a été déjà repoussée à maintes reprises.
À la recherche de l’expérience
Pour se renouveler face au succès des plateformes de strea- ming, les cinémas doivent proposer de véritables expé- riencesauxspectateursou,toutdumoins,unservicepre- mium comme c’est justement le cas avec la salle Infinite du Grand Rex, inaugurée en 2023. Ici, les cinéphiles sont ins- tallés dans des fauteuils Kleslo en cuir, qui ont la particu- larité d’être numérotés et inclinables. Autre atout, son écran Real-D Ultimate, le seul à être en activité en France, et qui offre davantage de profondeur, de clarté et de contrastes à l’image. Outre les salles dites traditionnelles, il est égale- ment possible de consommer du cinéma dans des lieux plus insolites. Aujourd’hui, un film peut se regarder depuis sa chambre d’hôtel comme c’est le cas au MK2 Hôtel Paradiso (voir encadré) ou, plus exceptionnel, dans l’enceinte feu- trée d’un palace, à l’image du cinéma Katara, niché dans l’enceinte du Royal Monceau. Mieux encore, certains ciné- mas proposent des technologies qui donnent aux projec- tions des allures d’attractions. Ainsi, au Pathé Beaugrenelle, il est possible de voir un film en 4DX. Le principe ? Un sys- tème immersif mis au point depuis 2009 par la société coréenne CJ 4DPlex, avec des fauteuils qui bougent, des jets d’eau lancés sur le public ou encore des nuages de fumée
qui se dispersent dans la salle. « En 2025, il devient plus dif- ficile de proposer une simple séance de cinéma. Les salles sont obligées de se réinventer pour offrir des choses nouvelles aux spec- tateurs », remarque Axel Huyghe. Pour Thomas Paris, la recherche d’expériences au cinéma est la réponse à un pro- blème bien précis : « Il y a une concurrence du domicile. Avec les plateformes, beaucoup de gens ne prennent plus la peine de sortir de chez eux pour voir un film. Les exploitants et direc- teurs de cinémas doivent donc trouver des techniques pour les attirer».Denouvellesformulesquiséduisentetquiconfir- ment, le lien inextinguible entre Paris et le septième art.
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