Interview

Richard et Romane La Maison Bohringer brûle les planches

Il y a le père, Richard, acteur, auteur, chanteur, poète écorché vif et immensément populaire. Il y a la fille, Romane, pieds sur terre et feu follet. Tous deux aiment à s’engager dans des projets osés et très personnels. Ils investissent les planches du théâtre de l’Atelier, séparément mais ensemble dans le travail. Rencontres...

Richard Bohringer à 81 ans revient sur un plateau de théâtre avec les textes de son dernier ouvrage Quinze Rounds, paru chez Flammarion. Sa fille Romane a pris en charge la mise en scène de ce spectacle solo où son père met, à nouveau, à nu sa vie, ses combats, ses passions. Un peu de leur vie à tous deux, aussi.

15 rounds - Théatre de l'atelier De et avec Richard Bohringer

1, place Charles Dullin, Paris, 18e www.theatre-atelier.com/
Voir l’itinéraire

« L’artiste doit offrir une parenthèse permettant d’aller ailleurs » Richard Bohringer

 

Vous aviez déjà joué avec votre fille, mais cette fois-ci, c’est elle qui vous dirige dans Quinze Rounds. Est-ce simple ?

Richard Bohringer : Évidemment, ce n’est pas possible de passer outre notre lien de famille. Comme nous n’avons pas encore commencé à travailler ensemble, je ne sais pas à quelle sauce elle va me manger. Mais je suis confiant. Je vais me laisser porter par elle. C’est elle qui a fait le découpage du livre. Nous allons mélanger nos talents et nous laisser aller à une renaissance commune !

Quinze rounds est un témoignage poétique sur des moments phares de votre vie de baroudeur. Que n’aviez- vous pas encore dit après vos précédents livres ?

Richard Bohringer : Il y a toujours à dire… Ces Quinze rounds, c’est comme si c’était le premier. Moi, je ne fais pas beaucoup d’intros- pection. J’écris comme je taille la route, ce que j’ai fait toute ma vie avec ma femme et mes enfants.

Vous jouissez d’une très grande popularité auprès du public. Les gens vous aiment, avec vos fêlures et vos failles. En êtes-vous conscient ?

Richard Bohringer : Je m’en rends compte. Et vous savez, je vis cela un peu comme un songe. Je crois bien que c’est ce dont je rêvais en commençant ce métier. Mais peut-être me prête-t-on autre chose que ce que je suis…

Romane dit de vous que vous êtes “un animal sauvage et indomptable”. Êtes-vous d’accord avec cela ?

Richard Bohringer : C’est assez vrai. J’ai un caractère volcanique.Être ainsi,c’est une grande aventure, parfois difficile pour moi et pour les autres.

Pensez-vous avoir été un bon père ?

Richard Bohringer : On ne l’est jamais assez. En ce qui concerne Romane, en tout cas, elle a mené sa barque magnifiquement. Elle est passion- née par son métier. Mais dans le fond, qui éduque qui ? L’éducation, moi, je crois que je n’ai jamais su faire. Cela dit, tout est lié. Et si on était aussi ce que les enfants sont ?

Qu’est-ce qui vous fait tenir malgré les épreuves de santé que vous avez traversées ?
Richard Bohringer : Je crois que j’aime la vie. Plus que tout. J’ai aussi eu des bons toubibs. Et un bon mental. Le tout mélangé a permis de traverser les épreuves…

Aujourd’hui, vous voyagez moins. Que voyez-vous néanmoins de la vie ?
Richard Bohringer : Ah moi, je vois d’innombrables nuances de couleurs. J’ai des fenêtres bloquées sur le ciel, avec des bleus incroyables, des images folles… Alors, cela répond à ce qu’un artiste doit offrir à son public : c’est-à-dire une clef vers le céleste, une parenthèse permettant d’aller ailleurs…

Que vous dit Paris, aujourd’hui ? Quels quartiers aimez-vous ?
Richard Bohringer : Paris, c’est ma ville, c’est là où j’ai vécu toute ma vie. J’aime le bistro en face de chez moi, les feuillages des arbres, les toits. Il y a des endroits que j’aime bien, mais je ne veux pas les conseiller. Le lecteur-promeneur doit les vivre lui-même, marcher et tomber sur un endroit qui va l’envoûter sans prévenir…

« J’exerce mon métier avec éthique et loyauté » Romane Bohringer

 

On connaît bien La Voix humaine de Cocteau, monologue d’une femme au téléphone avec son amant. Et moins son autre version, Le bel indifférent. Comment avez-vous découvert ce texte ?

Romane Bohringer : C’est le metteur en scène Charles Perton qui m’en a parlé. J’avoue que je n’avais encore rien lu de Jean Cocteau et j’ai trouvé magnifique qu’un homme écrive un portrait si sensible d’une femme enfermée dans son gouffre amoureux, face à un indifférent. Cela était certes lié à ce que vivait elle – même Édith Piaf, mais encore fallait-il le mettre en mots. Son écriture est très limpide, et l’élément novateur, c’est que nous y avons ajouté les chansons que Cocteau avait écrites pour Piaf.

Votre héroïne est victime de ce que l’on appelle aujourd’hui un homme toxique. Est-ce une forme d’action militante que de jouer ce texte aujourd’hui, vous qui êtes une femme engagée ?

Romane Bohringer : Je ne sais si je le suis, mais il est évident que je suis poreuse au monde qui m’entoure, et j’éprouve le besoin de le dire. Même si parfois, je trouve bien dérisoire de jouer un film ou une pièce quand le monde va mal…

Vous avez grandi seule avec votre père acteur, et semblez avoir avec lui une attitude très protectrice. Est-ce exact ?

Romane Bohringer : Oui, c’est très juste ! Toute petite déjà, j’avais compris que mon père était un homme fragile, et que je pouvais être un rempart face à cette vie souvent dissolue qu’il avait. Était-ce une histoire que je me racontais ? En tout cas, ce fût le rôle que je me suis attribué…

Est-ce pour cela que vous avez souhaité travailler avec lui sur son texte, Quinze rounds, publié en 2016 ?

Romane Bohringer : Oui, c’est une manière de l’aider et de retrouver cet état d’enfant, sans nul doute. J’ai eu la sensation soudaine qu’il fallait que je le remette sur pied. Il a 81 ans, a eu des sou- cis de santé, et j’ai pensé que c’était ma place, mon devoir de grande fille de l’aider dans son opiniâtreté à vivre, dans cette incroyable survivance dont il fait preuve, en lui per- mettant de transmettre encore à son public, ce qu’il a de magnifique dans sa présence, sa voix, son écriture…

En quoi vous ressemblez-vous ?

Romane Bohringer : En rien, et en tout. Je suis discrète, docile, n’aime pas faire de vagues, j’ai un côté bonne élève, quand lui est un ani- mal sauvage et indomptable qui se cabre, râle, souffre, n’est pas polissé. Je suis nulle en introspection, quand il ne cesse d’écrire sur sa vie, comme en témoignage ce dernier livre. Sauf que j’ai aussi tout hérité de lui dans ma perception du métier d’acteur. Nous l’exerçons, je crois avec éthique et loyauté, sans vouloir appartenir à une intelligentsia quelconque. Je suis “lui” au féminin.

Mais comme lui, vous avez commencé à parler de vous avec L’Amour flou ce film (puis cette série) à succès que vous avez réalisé et qui parle de cette cohabitation en appartement séparé avec votre ex. Et votre prochain pro- jet parle indirectement aussi de vous...

Romane Bohringer : Oui, et ces autofictions m’ont troublée. Je ne pensais pas plonger ainsi… Je crois bien en effet être en train de récidiver avec l’adaptation au cinéma du livre de Clémentine Autain, Dites-lui que je l ’aime. Elle parle de sa mère qui n’a pas pu l’élever et qui est partie très tôt. Ma mère aussi, est partie lorsque j’étais toute petite… À travers ce film, je vais chercher à retrouver qui elle était.

Par Ariane Dollfus - Publié le

Vous aimerez sûrement les articles suivants…

Rejoignez-nous sur Instagram Suivre @ParisCapitale