Evénement

Le dessin : un nouveau champ des possibles

Fin mars, Paris accueille les passionnés de dessin du monde entier autour de deux rendez-vous devenus incontournables, le Salon du dessin au Palais Brongniart et Drawing Now au Carreau du Temple. Pour Paris Capitale, l’artiste française Françoise Pétrovitch, qui a récemment exposé à la BnF et au musée de la Vie Romantique, livre son enthousiasme et ses attentes autour de cette pratique où elle excelle.

Salon du dessin - 20 au 25 mars

Palais Brongniart, Place de la Bourse 2e www.salondudessin.com/
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Drawing now - 20 au 24 mars

Carreau du Temple, 4 rue Eugène-Spuller Paris 3e www.drawingnowartfair.com/
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Le dessin voit donc de plus en plus grand ! Depuis vingt ans, ce médium universel et intemporel s’est décloisonné. De l’intime, sur le papier, griffonné, gratté, caressé, le voilà qui se déploie sur les murs les plus monumentaux, les plus fous des plus célèbres institutions. Les deux salons printaniers, avec leur distribution aussi pointue que spectaculaire, y sont pour beaucoup. Treize mille visiteurs pour le premier, vingt mille pour le second, des galeries inter- nationales triées sur le volet, des expositions passionnantes, de l’art ancien, moderne et contemporain, des prix à toutes échelles. Toutes ces qualités rassemblées ne pouvaient qu’enthousiasmer le public. Françoise Pétrovitch connaît bien ces deux salons. Exposée, chaque année, par la galerie Sémiose sur Drawing Now, elle y déploie ses superbes aquarelles où elle met en scène les relâchements, les abandons. Ce qu’elle appelle “l’élasticité” adolescente. En 2021, elle a obtenu le Prix Guerlain lors du Salon du Dessin au sein du Palais Brongniart. « Cette semaine est un véritable coup de projecteur sur le dessin dans toute sa diversité, confie-t-elle. Cet intérêt pour des formes d’art qui étaient un peu déconsidérées – comme la céramique, le textile ou d’autres pratiques jugées non nobles – révèle un mouvement plus profond d’intérêt du public pour le marginal, l ’atypique, l ’humble. Cet enthousiasme doit être cultivé car il garantit la plus grande diversité. La pluralité est essentielle pour une scène artistique. » Car le dessin, plus que toute autre forme d’art, « fixe une pensée, poursuit l’artiste. Il prévaut à toute autre forme plastique et est le moteur de toute forme de création. On le dit simple et modeste, mais au contraire, pour moi, l’économie plastique du dessin exprime une forme de justesse, un refus du superflu. »

Des œuvres qui vont du traditionnel à l’innovation

Ici, rien que des experts du meilleur des arts graphiques, bien sûr. Entre les prestigieuses colonnes napoléoniennes de l’ancienne Bourse, la 32e édition du Salon du Dessin accueille trente-neuf exposants dont dix-sept venus de huit pays différents tandis que, sous la lumineuse verrière du Carreau du Temple, la 17e édition de Drawing Now abrite soixante-treize galeries de quatorze nationalités. Ces ren- dez-vous sont très attendus par Françoise Pétrovitch, qui y revit à chaque fois les expériences qu’elle apprécie, à savoir des rencontres, des redécouvertes, un accès à des œuvres rares. « J’aime, notamment, découvrir des feuilles émouvantes et précieuses », poursuit la plasticienne. Elle nous livre aussi ses attentes pour 2024 au Salon du dessin. « Un délicat portrait de femme par Francis Picabia, des maquettes de livres de Sonia Delaunay, des portraits d’enfants de Mary Cassatt ou d’Hans Bellmer. Mais aussi des des- sins de Tiepolo ou du XVIIIe siècle. Il me semble qu’à travers le dessin, la proximité avec les grands maîtres est plus intime. On ressent au plus près la main de l’artiste, la vie d’atelier, le mystère de la pensée en mouvement. Ces dessins sont souvent des œuvres confidentielles, détenues par des proches des auteurs et restées en mains privées. C’est donc assez exceptionnel de pouvoir les contempler avant qu’elles ne rejoignent des collections publiques ou privées. » Autre ambiance sur Drawing Now. Ici, l’innovation est au rendez-vous avec des artistes qui travaillent le dessin avec tous les médiums possibles et les technologies les plus audacieuses. « La visite de Drawing Now est toujours la pro- messe de se laisser surprendre par des univers graphiques novateurs, de confirmer des goûts et des intérêts pour certains mouvements », se réjouit Françoise Pétrovitch. Découvrez donc le crayon, le pastel, l’aquarelle, évidemment, mais aussi l’encre sur pierre de tuffeau de Fabien Mérelle, la voile de bateau cousue par Cathryn Boch, le stylo à bille qui ne souffre aucun repentir de Robin Wen, le mélange insolite du grès et de l’émail d’Anaïs Lelièvre, la fusion des techniques mixtes chez Roger-Edgar Gillet ou le coup de pinceau à l’acrylique d’Alisa Yoffe et Riley Holloway.

Une vitalité artistique bienvenue

Ces salons ne se contentent pas de proposer une offre marchande, ils présentent aussi d’exceptionnelles expositions de qualité muséales comme celle de “Dubuffet sur papier” en cinquante-cinq œuvres réalisées entre 1935 et 1985, au Palais Brongniart. « Jean Dubuffet est un jalon essentiel dans l’art du XXe siècle. La pensée qu’il développe, notamment dans son pamphlet Asphyxiante culture (1968), pulvérise les catégories et les genres, explique Pétrovitch. Si le dessin aujourd ’hui est aussi poreux à des esthétiques diverses, cela lui revient en partie, je crois. Grâce à lui, non seulement l ’art brut a acquis sa place dans l’art, mais en retour toutes les autres formes d’art ont gagné à se décloisonner et à s’émanciper. » Au sous-sol de Drawing Now, Joana P. R. Neves, directrice artistique de la foire, a concocté une exposition intitulée “Animation : mécanique de l’esprit”, sur les nouvelles technologies comme l’animation qui unit deux langages artistiques, le dessin et le cinéma. Cette exploration associe des frontières entre humain et machine: « C’est un domaine foisonnant, où je constate qu’il se passe beaucoup de choses. Les possibilités techniques sont encore loin d’avoir toutes été exploi- tées. Comme dans le domaine du roman graphique, j’y fais beaucoup de découvertes », avoue l’artiste qui pratique elle- même la vidéo et la performance accueillant « cette conscience du corps qui ouvre des perspectives et permet l’éclosion de genres nouveaux, plus inclusifs. » C’est donc cette « énergie », termine Françoise Pétrovitch, qu’il faut retenir de cette semaine passionnante du dessin. Une vitalité et un dynamisme qui se poursuivent dans toute la capitale avec un riche parcours dans une vingtaine d’institutions parmi lesquelles les Archives nationales, le musée de l’Armée – Invalides, les Beaux-Arts de Paris, la BnF, le musée Jean-Jacques Henner, la Collection Émile Hermès, l’INHA, le musée des Arts décoratifs, la maison Balzac, le musée d’Art Moderne, le Centre Pompidou… Le dessin voit grand ? Mieux. Il propose désormais un nouveau champ des possibles.

Dessin 1 : Fabien Mérele. Fragment #12, 2023 

Dessin 2 : Riley Holloway. Embrace, 2023 

Dessin 3 : Robin Wen. Blue Rave, 2023 

Dessin 4 : Mary Cassat. Portrait de Pierre, vers 1906

Dessin 5 : Lorenzo Tiepolo ( Venise 1736-Madrid 1776). Jeune homme portant un foulard et reposant sa tête sur sa main gauche 

Dessin 6 : Francis Picabia. Portrait de femme au châle 

Par Anne Kerner - Publié le

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