Interview

Gérard Garouste L'ouverture au monde

L’enfance demeure le fil d’Ariane de Gérard Garouste. De ses premières années où il se réfugie dans les contes de fées à la création de l’association La Source pour les jeunes défavorisés, il demeure fidèle à la transmission, l’ouverture au monde. Paris Capitale a rencontré l’artiste à l'occasion de la rétrospective que le Centre Pompidou lui consacre du 7 septembre au 2 janvier 2023.

Centre Pompidou

Place Georges-Pompidou 75004 Tel : +33 (0)1 44 78 12 33 www.centrepompidou.fr/fr/
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Toute votre démarche est nourrie par la passion de la connaissance et une ouverture au monde, quelle est-elle ?

Ma démarche est très liée à mon enfance. En fait, je raisonne un peu comme un enfant. On m’a éloigné de mes parents et j’ai vécu chez mon oncle et ma tante. Deux personnes étonnantes qui m’ont fait découvrir la Bourgogne dans une ambiance de Moyen-Age où les forêts font peur. Cela m’a conditionné car je ne suis jamais sorti, même encore aujourd’hui, de cette ambiance de conte de fées, de légendes de mythologies, et ces mythes me nourrissent davantage que la réalité qui, elle, m’ennuie. Donc dans le côté imaginaire, toutes ces légendes et ces contes me satisfont vraiment.

Est-ce votre nourriture depuis toujours ?

Oui. Je me suis rendu compte que même les mythes et légendes sont plus vrais que l’histoire. Les mythologies, avec leur fiction, portent davantage la vérité de chaque individu.

Pourquoi rester toujours dans la figuration ?

Ce qui m’intéresse, c’est la peinture figurative, car précisément, elle raconte des histoires. Lors d’une rétrospective à New Delhi, la conservatrice du musée, qui connaissait l’intérêt que je portais aux enfants, a fait venir des classes qui ont visité mon exposition. Ils interprétaient les dessins à leur manière, bien qu’ils ne possèdaient pas de connaissances sur la mythologie grecque et la Bible. Mais, ça leur parlait. Il y a quelque chose de magique, c’est ça l’intérêt de faire de l’art.

Quel est l’importance de Sophie Duplaix, la commissaire de l’exposition, dans l’approche de votre art ?

Elle révèle un sens à ma peinture que je n’imaginais pas. Ce qui compte dans la peinture, c’est qu’elle appartient à celui qui regarde. C’est le regard de Sophie Duplaix sur l’ensemble de l’exposition qui est important car cela me faisait découvrir ma propre peinture autrement.

En étant un peintre figuratif, je lis une histoire et la peinture raconte une autre histoire. C’est là qu’on peut parler de révélation. C’est là le propos de l’art, c’est de dépasser ce qui est donné et nous inviter à interpréter autrement.

Que chacun puisse s’approprier cette histoire ?

L’important, c’est comment vous vous ressentez le tableau. Si vous en avez envie, commence une aventure particulière entre vous et le tableau, c’est magique. Il peut se créer une complicité mais ce n’est pas une explication, c’est un questionnement.

Pour vous la transmission est-elle quelque chose de très important ?

C’est fondamental, car dans l’idée de transmission il y a l’idée d’avoir reçu et l’idée de rendre. Dans mon enfance compliquée, j’ai vu les enfants de l’assistance publique très malheureux. C’est pour cela qu’avec ma femme, nous avons créé l’association La Source en 1991. En tant qu’adulte, je peux apprendre à donner un sens, à montrer comment la poésie fonctionne, leur donner ça, pour qu’eux-mêmes aient envie de faire des choses actives et non passives. Les artistes participant à la Source ne sont pas là pour apprendre à peindre ou à dessiner aux enfants, mais pour leur transmettre cet état d’esprit de création, de disponibilité, de responsabilité d’ouverture aux choses.

Est-ce le même but que vous cherchez à donner avec votre exposition?

Bien sûr, je crois que c’est Cocteau qui a dit « L’art est absolument nécessaire, mais nul ne sait à quoi. ».

Portrait Gérard Garouste
Le rabbin et le nid doiseaux – Gérard Garouste
Gérard Garouste vu par Sophie Duplaix

La commissaire de l’exposition consacrée à Gérard Garouste au Centre Pompidou, Sophie Duplaix, livre sa vision de cet artiste atypique qui, depuis plus de cinquante ans, est resté attaché à la peinture figurative.

 

Pourquoi le Centre Pompidou consacre une exposition en 2022 à Gérard Garouste ?

Gérard Garouste est l’un des plus importants peintres français. Il est aujourd’hui âgé de 76 ans. Il relève de notre mission, en tant qu’institution muséale nationale, de valoriser le travail de nos artistes. Gérard Garouste n’appartient à aucun courant, c’est une personnalité très atypique, d’une grande richesse tant sur le plan artistique qu’intellectuel, et même social, grâce à l’association La Source qu’il a créée il y a 30 ans.

Comment voyez-vous son attachement à la peinture figurative ?

Son attachement revendiqué à
la peinture figurative est un cheval de bataille qui lui a coûté, à un
moment donné, l’incompréhension d’une certaine part de la critique. Inversement, beaucoup de collectionneurs sont fascinés par son œuvre, même si elle ne se livre pas d’emblée. Sa représentation de la figure humaine bouscule, dérange, mais stimule tout à la fois, avec ses déformations, ses torsions, ses aberrations.

Pouvez-vous nous expliquer le parcours de l’exposition ?

J’ai choisi un parcours chrono-thématique, car même si l’artiste travaille plutôt par séries, la chronologie n’est pas absolument stricte et certains thèmes sont récurrents, comme celui de Don Quichotte par exemple.

Qu’est-ce que le visiteur découvre ?

Ce qui va surtout être une découverte pour le public, c’est de pouvoir appréhender l’œuvre dans son entier, déroulée de la fin des années 1960 au début des années 2020. Le public de Garouste est partagé – je force un peu le trait – entre un attachement aux grandes toiles des années 1980, et une adhésion inconditionnelle aux peintures à partir des années 2000, nourries de références aux études talmudiques, pour lesquelles Gérard Garouste s’est passionné. Donner à voir la cohérence du parcours de l’artiste et réconcilier ces deux publics est l’ambition de cette rétrospective.

Que représente Gérard Garouste pour les plus jeunes générations d’artistes ?

Gérard Garouste est un artiste très respecté des jeunes générations, entre autres pour sa façon de s’être tenu en retrait des diktats et des modes. C’est un artiste libre, et en cela, un vrai modèle pour les plus jeunes artistes. Son amour de la transmission l’a conduit à proposer dans une galerie non loin du Centre Pompidou, une exposition, à quatre mains avec un tout jeune artiste, autour de La Méguila d’Esther. Dans l’esprit de Garouste, cette présentation s’inscrit parfaitement dans la continuité de sa rétrospective.

Par Anne Kerner - Publié le

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