Interview

L’Amérique d’Andres Serrano

Au musée Maillol, l’un des plus grands photographes d’aujourd’hui, Andres Serrano dresse le portrait de l’Amérique contemporaine en 80 photographies et un film. La religion, le sexe, la pauvreté, la question raciale, la mort... tout y passe. En pleine élection présidentielle aux États-Unis, entretien avec ce fils de l’Amérique, dont tout le travail est un gigantesque autoportrait.

Musée Maillol - "Andres Serrano. Portraits de l'Amérique" jusqu'au 20 octobre

59-61 Rue de Grenelle, Paris 7e museemaillol.com/
Voir l’itinéraire

Quelle importance revêt pour vous le fait d’être exposé à Paris et au musée Maillol ?

Andres Serrano : « J’ai une grande connexion avec Paris, ville dans laquelle mon travail a été montré de nombreuses fois. Je suis ravi de travailler avec le musée Maillol car le sculpteur Aristide Maillol est un grand artiste que j’admire. Je l’aime beaucoup car il est controversé. Il a travaillé avec les gens “de tous les jours”, comme moi, et il est porté par les mêmes spectateurs. Même si je suis un artiste qui a une connaissance de l’histoire de l’art, mon travail est accessible à tous. »

Comment ressentez-vous la capitale française ?

Andres Serrano : « C’est Nathalie Obadia qui m’a fait venir pour cette exposition et je suis très honoré d’être si bien reçu et apprécié en France. Par ailleurs, beaucoup de villes changent, New York a beaucoup changé depuis que j’y habite. Très souvent, des bâtiments disparaissent et personne ne s’en soucie. Paris est une ville dont on se soucie. Et même si la ville change lentement, il reste ce sentiment que Paris est la Ville Éternelle, qu’il y a “un esprit de Paris”. »

Pensez-vous que les Français et les Européens se rendent compte de ce qu’est l’Amérique que vous représentez ?

Andres Serrano : « Oui, je pense qu’ils ont une bonne compréhension de l’Amérique car ils la voient de l’extérieur. Par ailleurs, je pense que mon travail a été bien plus apprécié en Europe qu’aux États-Unis. J’ai été exposé dans une vingtaine de musées dans le monde et un seul aux États-Unis. Je fais partie de ces artistes américains comme de nombreux écrivains noirs, musiciens ou jazzmen qui ont été plus appréciés en Europe que dans leur propre pays. L’Europe les a reconnus pour ce qu’ils étaient avant même leur pays d’origine. Ainsi, je suis heureux d’être un produit de ma société et de représenter l’Amérique en Europe. »

 

Le fil rouge de votre œuvre, est-ce la violence ?

Andres Serrano : « Oui, le fil conducteur dans mon travail pourrait être la violence ou l’inhumanité de l’homme. Ce n’est pas que j’essaie de faire du sensationnel, mais j’ai du mal à produire des œuvres qui n’ont pas en elles une certaine violence. Si je prenais uniquement de belles photographies, j’aurais probablement un problème avec moi-même car ce serait un travail esthétiquement plaisant mais limité. C’est un couteau à double tranchant. »

 

Quelles sont vos influences en termes d’art classique, mais aussi moderne et contemporain ?

Andres Serrano : « La plus grande influence dans mon travail est apparue avant même d’aller en École d’art. Quand j’étais au lycée, j’ai découvert Marcel Duchamp. Il part du postulat que tout, y compris la photographie, peut être une œuvre d’art. La “Bible de l’art contemporain”, c’est Marcel Duchamp. »

Pouvez-vous parler de votre pratique du portrait ?

Andres Serrano : « Cela dépend du travail. Lorsque j’ai réalisé “America and the American Theories”, j’ai photographié des gens de tous les horizons. J’ai commencé par les symboles du 11 septembre 2001, car c’était une réaction à cet événement, des soldats, des pompiers… Ensuite, j’ai photographié des gens ordinaires de la classe moyenne, des travail- leurs, des riches et, plus tard, des célébrités. Lorsque je prends des photos de personnes, peu importe qui elles sont, je ne les juge pas, j’essaie juste de les rendre belles. »

Quelle est la meilleure image possible pour vous ?

Andres Serrano : « Pour moi, la meilleure photographie est celle qui représente l’essence de l’être humain. Je veux que les gens aient l’air bien, alors j’essaie de les rendre plus grands que nature, monumentaux. Tout mon travail est un autoportrait. »

Votre exposition a lieu en pleine élection présidentielle aux États-Unis. Ce n’est pas un hasard ?

Andres Serrano : « Je suis ravi de constater que de nombreux sujets que j’ai photographiés pendant des années ont une sorte de présence durable dans le temps. La religion, le sexe, la pauvreté, la question raciale, la mort, tout mon travail est dans un certain sens éternel. Lorsque j’ai photographié Donald Trump en 2004, je ne savais pas qu’il allait devenir président des États-Unis. Il représentait une personnalité parmi la centaine de personnes que j’ai photographiées qui livre ma vision de l’Amérique. Nous en avions fini avec Donald Trump il y a quatre ans, mais aujourd’hui il a de grandes chances de devenir à nouveau président des États- Unis, ce qui inquiète de nombreux Européens. Je suis donc ravi que mon travail résonne encore avec l’actualité, des décennies après l’avoir créé. »

Avons-nous encore une idée idéale de l’Amérique ?

Andres Serrano : « Je suis né à New York et, quand j’étais enfant, j’ai toujours pensé que les États-Unis étaient les gendarmes du monde. Je pense que nous avons perdu cette vision idéalisée d’être une autorité morale dans le monde. »

Par Anne Kerner - Publié le

Vous aimerez sûrement les articles suivants…

Rejoignez-nous sur Instagram Suivre @ParisCapitale