Vous avez commencé votre carrière exceptionnellement jeune. À quel âge remonte votre premier émoi musical ?
À l’âge de deux ans, devant le dessin animé Tom et Jerry que j’adorais. Ce dessin animé était sans paroles, uniquement musical et l’on y voyait Tom en smoking interpréter la Rhapsodie hongroise N° 2 de Liszt en étirant sa patte tout le long du clavier pour atteindre les octaves supérieures. Cette scène me faisait hurler de rire et m’a donné l’envie de jouer moi-même du piano.
À 5 ans, comme Mozart, vous êtes déjà connu à Shenyang, votre ville natale…
De 5 et 9 neuf ans, je donnais beaucoup de concerts, car j’avais remporté le concours de ma ville, aussi bien des menuets de Bach que la sonate Numéro 16 de Mozart. J’étais entouré de mon père et de ma mère. Ce sont les années les plus heureuses de mon enfance. J’avais l’impression d’être un gros poisson dans un petit étang alors que j’allais bientôt devenir un tout petit poisson dans un océan de doutes.
Votre vie a diamétralement changé lorsque vous partez étudier à Pékin seul avec votre père…
Mon père a dû faire différents petits jobs pour que je puisse poursuivre mes études de musique à Pékin. Mon premier choc a été d’être séparé de ma mère, une femme très douce et généreuse, qui a dû rester à Shenyang où elle travaillait comme opératrice. Notre séparation allait durer huit ans. Nous vivions très chichement avec mon père, qui me mettait une pression terrible. Je devais jouer encore et encore, au moins six heures par jour, il voulait absolument que je sois le meilleur. Tout ce que je faisais n’était jamais assez bien tant son exigence était grande et son attitude tyrannique à mon égard. Il a failli me dégoûter du piano, heureusement mon amour de la musique a été le plus fort.
N’aviez-vous pas l’impression qu’on volait votre enfance ?
Pas vraiment, tant la musique envahissait ma vie et me procurait de joie. J’avais tout de même du temps pour regarder des dessins animés et m’amuser avec les jouets Transformers.
Aujourd’hui, quels sont vos rapports avec votre père ?
Nos relations sont apaisées. À 21 ans, je l’ai fait monter sur la scène du Carnegie Hall pour jouer du violon chinois, sa spécialité, avec moi. Cela a été un grand moment d’émotion pour nous deux. Il se rêvait grand musicien, mais il a eu la malchance d’appartenir à cette génération sacrifiée que la révolution culturelle avait coupée de la culture occidentale. Quant à ma mère, je l’emmène depuis des années très souvent en voyage avec moi, une façon de rattraper le temps perdu. Elle me connaît par cœur et veille à ce que je sois toujours bien émotionnellement.