Interview

Khatia Buniatishvili Une virtuose du piano au look glamour

Cette jeune pianiste géorgienne, installée à Paris depuis huit ans, séduit le monde entier, autant par sa virtuosité que par son look des plus glamour. Amoureuse de la France depuis son enfance, elle a obtenu depuis peu ce qu’elle espérait le plus au monde : la nationalité française.

Kathia, d’aussi loin qu’il vous en souvienne, vous avez joué du piano.

Je n’avais que quatre ans lorsque ma mère, pianiste amateur, nous a mises au piano, ma sœur Gvantsa, mon aînée d’un an et désormais ma manageuse et meilleure amie, et moi. Ma mère est une femme extraordinaire, sans doute l’être que j’admire le plus au monde et à qui j’ai d’ailleurs dédié mon album Motherland en 2014. Grâce à elle, notre rencontre avec le piano a été naturelle, car elle le présentait dans la joie et la facilité. C’est une femme très douée pour la transmission. Toute petite, le piano s’est imposé à moi comme un membre de la famille. Il paraît que je réclamais chaque jour une nouvelle partition…

Grandir en Géorgie a dû cependant être difficile…

Dans les années 90 et jusqu’à la révolution des Roses en 2003, la Géorgie a vécu dans un chaos épouvantable. Il y régnait une confusion et une totale anarchie, n’importe qui pouvait se faire tuer au coin de la rue pour un rien. On y entendait les tirs des fusils jusque dans les immeubles ! Les gens voulaient leur indépendance mais l’État n’était pas encore installé. Les habitants avaient perdu leur métier, la criminalité était impunie et nous étions en pleine guerre civile.

Comment une petite fille peut-elle grandir et s’épanouir dans un tel contexte ?

Grâce à ma mère qui est tellement douée pour la vie ! Tout d’abord, pour ne pas nous traumatiser et nous préserver de cette violence, elle nous évitait la rue. Nos seules sorties consistaient à aller de la maison à l’école ou de la maison au Conservatoire. Elle nous accompagnait jusqu’à notre salle de classe pour nous protéger mais le faisait avec tellement de naturel que nous ne réalisions pas combien cette situation était étrange. Pour survivre, mes parents nous plongeaient dans un bain de culture à la maison. Nous chantions, lisions, regardions des films, faisions de la musique. Ma mère s’est toujours battue pour que nous puissions apprendre, pour nous donner confiance en nous. Elle allait jusqu’à payer l’épicier à crédit pour que ma sœur et moi apprenions des langues étrangères, dont le français. Nous avions un amour infini pour la France… Elle pensait que l’art et le travail préservaient de la névrose.

Les contraintes imposées par la crise allaient jusqu’à vous priver d’eau et d’électricité…

Oui, nous ne pouvions en bénéficier que quelques heures par jour, souvent au milieu de la nuit. On entendait alors des clameurs aux fenêtres : l’eau est là, l’eau est là ! Et nous nous levions d’un bond pour aller nous laver à cinq heures du matin. Par contre, je suis devenue myope à cause du manque d’électricité. À force de lire mes partitions à la bougie. Mais comme dit le proverbe : Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort.

À 19 ans, grâce à une bourse, vous partez étudier à Vienne.

Où je vais rester quatre ans ! Je voulais à la fois découvrir un autre univers et être indépendante, pour pouvoir rendre à mes parents ce qu’ils m’avaient offert. À Vienne, je découvre la jeunesse, la liberté, des gens de tous les pays. J’étais la seule Géorgienne et je voulais tout voir, découvrir de nouvelles émotions que je ne connaissais qu’à travers les livres. Pourtant, je gardais encore des séquelles de ma timidité enfantine : une nature hypersensible qui ne supportait pas le cynisme.

Vous semblez avoir beaucoup d’empathie pour les autres…

Depuis mon enfance, je suis fascinée par les êtres humains et je respecte chacun d’eux infiniment. J’ai toujours respecté les différences et je voulais qu’on me respecte moi aussi. Chaque être humain a son univers et je ne voulais pas me changer mais rester moi.

Vous faites allusion à votre façon particulière de jouer du piano, pleine de fougue ?

Je suis très libre sur scène mais je respecte scrupuleusement la partition tout en ayant ma propre lecture. Je me libère dans la musique, mais j’aime l’exactitude, aller à fond dans ce que je fais. L’interprétation est une relation entre deux personnes. Un voyage infini avec le compositeur. On ne peut pas jouer Molière comme au XVIIe siècle. Les choses seraient figées et il n’y aurait pas d’avenir…

Combien d’heures par jour passez-vous au piano ?

Hier, relevant d’une grippe, j’ai joué neuf heures dans la journée ! Mais cela est exceptionnel et je joue en moyenne quatre heures par jour. Chaque année, j’essaie de réduire le nombre de mes concerts. Je les ai fait passer de 130 à 100 par an. Je suis à la recherche du rythme parfait pour ma vie. Je souhaite avoir davantage de temps pour moi et pour les gens que j’aime.

Parce que vous êtes toujours très glamour face à votre clavier, on vous compare parfois à Betty Boop. Que vous inspire cette réflexion ?

Elle m’amuse beaucoup, je trouve Betty Boop très mignonne ! Être seule face à son piano implique déjà une intériorisation profonde et jouer est un acte très intime. On aimerait parfois ne pas sortir sur scène, jouer derrière un rideau pour ne pas gâcher notre concentration. Et puis soudain on apparaît en robe du soir – ce qui extériorise encore plus notre présence – on commence à jouer et tout s’abolit : la robe de soirée, la distance avec le public. J’aime le contraste entre une jolie robe de scène – ma mère est devenue ma styliste – et l’immatérialité qui se dégage dès que je commence à jouer. Le jeu devient alors beaucoup plus intime que la robe.

Retournez-vous parfois en Géorgie ?

Oui, une fois par an. J’y ai encore de la famille et des amis.

Vous arrive-t-il d’aller jouer en Russie ?

Non, je m’y refuse parce que les droits de l’homme n’y sont pas respectés et en tant que ressortissante d’un territoire occupé, je me sens la voix de ses habitants qui ont une vie si compliquée. La politique de la Russie est tellement agressive envers la Géorgie ! Et pourtant, dieu sait que j’adore ce pays pour sa musique, sa littérature et son peuple ! Mais je n’irai pas jouer là-bas tant que les problèmes ne seront pas résolus, que les droits de mon pays ne seront pas respectés.

En 2017, vous avez obtenu la nationalité française.

L’un des plus beaux jours de ma vie ! J’adore votre pays depuis toujours, à la fois pour ses droits de l’homme, sa beauté, son appréciation de l’art et sa créativité. Je crois que j’ai rêvé de la France dès que mon cerveau s’est mis à fonctionner et j’ai appris à parler français à 13 ans. J’étais fascinée par les films français où les femmes semblaient si libres et si belles et je fantasmais devant Juliette Binoche et Isabelle Huppert. J’ai toujours voulu vivre en France et je la remercie de m’avoir si bien accueillie.

paris-capitale-interview-exclusive-khatia-buniatishvili-pianiste-gerogienne
Bio Express

Bio Express

  • Naissance à Batoumi, en Géorgie
  • Commence à apprendre le piano à Tbilissi, Géorgie
  • Se produit pour la première fois sur scène avec orchestre
  • Premier récital de piano à Tbilissi
  • 1er prix de conservatoire de Tbilissi
  • 1er prix de l’université de musique de Vienne
  • Débute au Carnegie Hall
  • Prix Echo Klassik Révélation de l’année pour son premier album consacré à Liszt
  • Sortie de son album Mothertland
  • Remporte pour la seconde fois le prix Echo Klassik pour son album Kaléidocope. Participe au concert Climate Show de la Cop 22
  • Concert du 14 Juillet à la tour Eiffel. Débuts au Royal Albert Hall de Londres dans le cadre du Festival BBC Proms
  • Sortie d’un album consacré à Schubert
Par Caroline Rochmann. Photos : Esther Haase / Gavin Evans 2016 - Publié le

Vous aimerez sûrement les articles suivants…

Rejoignez-nous sur Instagram Suivre @ParisCapitale