Roberto, comment avez-vous vécu ces derniers mois ?
Confiné dans ma maison de la région parisienne avec mon épouse (la soprano polonaise Aleksandra Kurzak) et Malèna, notre fille de 6 ans. C’était nouveau pour moi, je faisais à la fois l’instituteur, le jardinier et le cuisinier, sans oublier un peu de bricolage. C’est ne pas voir mes parents qui m’a le plus manqué . J’avais peur de les contaminer.
La musique a toujours fait partie de votre vie…
Et de celle de ma famille où tout le monde chantait, en particulier mon père qui avait une voix extraordinaire. Nous n’avions pas la télévision et le soir on se réunissait pour chanter. Mes grands-parents, mes oncles, mes cousins. Bizarrement, c’est moi qui chantais le moins bien ! Ma grand-mère me disait : « Tu sais Roberto, essaie de faire autre chose ! » Chanter devant les autres me paralysait. Et puis, à 8 ans, j’ai commencé à prendre conscience du côté sacré de la musique et de la voix et j’ai pris l’habitude de me cacher pour chanter. À dix ans, j’ai eu ma première guitare qui m’a servi d’armure. Je l’utilisais comme bouclier. Je ne pouvais pas chanter sans elle. Petit à petit, le chant m’a fait découvrir mon pouvoir de séduction. Je voyais que j’étais capable d’émouvoir les gens, de les faire pleurer. Alors je me suis mis à chanter tout le temps.
Vous n’avez vraiment pas suivi un parcours classique…
Je me suis fait tout seul. J’apprenais le répertoire que mon père chantait : les chansons napolitaines et siciliennes. Mon père est issu d’une famille très pauvre de Sicile, il a exercé toute sa vie le métier de maçon. Je suis le premier de la fratrie à être né en France, à Clichy-sous-Bois exactement. Comme il était très doué, mon père, a été affecté à la rénovation des monuments de Paris. C’est lui qui, par exemple, a contribué à retrouver la couleur ocre d’origine de la place des Vosges ! Parce qu’il avait aussi participé aux travaux d’embellissement de l’Élysée, le Président Macron lui a offert une visite privée du Palais qui l’a rendu fou de joie lui qui devait se cacher à chaque fois que quelqu’un passait lorsqu’il était en exercice !
À 15 ans, alors que vous êtes encore au lycée, vous chantez le week-end dans une pizzeria.
Où le patron sicilien s’extasie sur ma voix et après la fermeture, m’emmène dans des cabarets pour que j’improvise avec les musiciens. À chaque fois je fais un tabac. Jusqu’au jour où un patron de cabaret me propose de venir chanter tous les soirs. À 17 ans, me voici au lycée la journée et le soir au cabaret. À 18 ans, un mois avant le bac, je décide d’arrêter les cours.
Comment êtes-vous passé du cabaret à l’opéra ?
Grâce à un professeur, Raphaël Ruiz devenu par la suite mon père spirituel. Un musicien cubain fou d’opéra qui me révèle que je suis ténor et propose de m’initier gratuitement à ce métier. Toutefois il me dit : « Si tu veux faire de l’opéra, il faut que tu arrêtes le cabaret et la cigarette. » Sur le coup, j’étais un peu perdu à l’idée de me trouver sans ressources, le cabaret me rapportant plus d’argent que ce que mon père gagnait en un mois. Mais j’ai accepté.
C’est aussi Raphaël Ruiz qui vous encourage à passer le concours de la Vocation.
Que je gagne mais pour lequel on refuse de m’accorder une bourse sous prétexte que je ne suis pas issu du Conservatoire. Et c’est là qu’un miracle se produit. Gabriel Dussurget, le président du jury qui est également le créateur du Festival d’Aix-en-Provence, me dit : « Je vais t’aider. » Il me fait prendre des cours de solfège et me présente à celui qui sera mon premier agent, Jean-Marie Poilvé.
En 1988, reçu aux éliminatoires du Concours Pavarotti, vous accédez à la finale à Philadelphie.
Où je crois ne pas pouvoir me rendre car le port du smoking est obligatoire ! Il fallait compter 10 000 francs pour s’offrir la tenue ce qui était très au-dessus de mes moyens et de ceux de mon père. J’ai alors entendu parler d’un concours de chant à Béziers doté d’un premier prix de 10 000 francs. J’ai gagné ce concours qui m’a permis d’acheter ce smoking ! Je suis donc allé à Philadelphie où j’ai remporté le prix. Ma devise ? Ne pas se laisser abattre, ne jamais baisser les bras. Pourtant je n’avais aucune confiance en moi. Je trouvais tous les autres participants meilleurs chanteurs et plus beaux que moi.
Il y a plus de 20 ans, j’ai demandé à Pavarotti chez lui à Modène, quel était pour lui le meilleur chanteur de la génération suivante. Il m’a répondu sans hésiter : Roberto Alagna.
Nous entretenions l’un pour l’autre une grande admiration et je suis resté très proche de lui jusqu’à sa mort. Il possédait une intelligence hors du commun et la sagesse des grands hommes.
Pourtant, à vous débuts, certains critiques ne vous ont pas épargné, vous ne veniez pas du sérail…
J’étais hors normes, je venais de nulle part. Mais ces mauvaises critiques ne me terrassaient pas, au contraire. Ces propos négatifs, je les transformais en énergie positive.