Interview

Steve Suissa, Un metteur en scène passionné

De tous les jeunes metteurs en scène actuels, Steve Suissa est l’un de ceux qui ont le plus le vent en poupe. Avec quatre pièces à l’affiche actuellement, il nous entraîne dans le quartier des Folies Bergère où il est né, où il a grandi et où il est revenu vivre il y a cinq ans, rattrapé par tous ses souvenirs d’enfance. 

Steve, en voyant l’homme que vous êtes aujourd’hui, il est difficile d’imaginer l’enfance qui a été la vôtre…

Je suis né dans ce quartier populaire qu’était à l’époque celui des Folies Bergère avec, d’un côté, les voyous comme Mesrine et les frères Zemmour, et de l’autre, les petits commerçants honnêtes originaires d’Afrique du Nord dont faisait partie ma famille. Mon grand-père, analphabète, était boucher rue Richer. Mon père exerçait le même métier. Et moi, j’étais un enfant très solitaire, mal dans sa peau, limite autiste et qui n’osait jamais poser de questions. Je me demandais de quel côté je devais aller. Celui des malfrats que je voyais mener la belle vie avec de l’argent facile ou travailler de façon intègre comme mes proches pour gagner à peine de quoi vivre.

Votre maman était très jeune lorsque vous êtes né…

Ma mère s’était mariée à quinze ans. Je suis né, à la maison, dans le salon alors qu’elle regardait Au nom de la loi à la télévision avec Steve McQueen. D’où le choix de mon prénom ! Ma sœur, mes parents et moi habitions un minuscule appartement. Depuis la cage d’escalier de notre immeuble, je levais souvent les yeux vers le dôme en me disant : je finirai bien par monter un jour !

À l’âge de 14 ans, vous quittez l’école.

Parce que j’avais été renvoyé de plusieurs établissements. J’ai alors commencé à travailler à Rungis où, chaque soir, je déchargeais huit tonnes de viande. J’ai fait cela pendant quatre ans sachant qu’à l’époque, j’étais très costaud et pesais trente kilos de plus qu’aujourd’hui ! Dans le camion qui nous servait à livrer la viande, je passais mon temps à réciter les dialogues de films que je voyais à la télé. Jusqu’à ce qu’un soir, le camionneur me déclare : Il faut absolument que tu fasses du théâtre ! Je t’ai trouvé la solution : la classe libre du cours Florent ! Sur les 1 200 candidats qui passaient l’audition, ce cours offrait l’accès gratuit aux douze meilleurs.

Vous avez passé cette audition qui fut pour le moins rocambolesque…

J’avais 16 ans et n’avais jamais lu un seul livre de ma vie. Cependant, les films étant mes meilleurs amis, je décide de me présenter avec une scène du Parrain. Pour être le plus crédible possible, je demande au patron du Café des Folies, un type du milieu, de me prêter une veste en cachemire et un pistolet. J’arrive au cours où je croise une jolie jeune fille brune aux yeux bleus à qui je demande d’être ma partenaire muette le temps de passer ma scène. Elle a 19 ans et s’appelle Cristiania Reali ! Le jury est composé de François Florent et de Francis Huster. Lorsque j’annonce Le Parrain, Huster rigole et François Florent me dit : « Cela ne va pas être possible. Nous sommes une école de théâtre, vous devez passer une scène de théâtre ! » Je réponds alors : « Mais je n’ai jamais lu de pièce, je n’en connais aucune ! » C’est alors que Francis dit à Florent : « Laisse-le faire… »


Et là, coup de théâtre !

Pendant que je passe ma scène, Francis Huster et François Florent se mettent à bavarder entre eux, ce qui m’agace prodigieusement. J’apprendrai plus tard qu’il s’agissait d’une tactique pour déstabiliser les candidats, mais moi, je prends cette attitude pour un manque de respect. Après m’être interrompu deux fois en leur lançant un regard noir, la troisième fois, je tire deux coups de pistolet dans le plancher. Résultat : François Florent s’évanouit, Francis Huster me fiche dehors et Cristiana s’enfuit en hurlant, complètement paniquée ! Deux jours plus tard, miracle : Francis Huster m’appelle pour m’engager ! Ma rencontre avec Francis Huster et le monde du théâtre qui permet d’avoir cent vies en une seule m’a sauvé. J’aurais pu mal tourner : je me suis mis à lire tous les livres possibles et imaginables.

Très rapidement et pendant près de vingt ans, vous serez essentiellement acteur…

Une période où j’ai enchaîné trente pièces et trente films. J’incarnais presque toujours les voyous et les écorchés vifs ! Jusqu’au jour où, avec Marc Esposito, j’ai écrit mon premier film L’Envol, inspiré de ma propre vie, avec Isabelle Carré. Le film a été bien accueilli et m’a valu de nombreuses récompenses dans le monde. J’ai ensuite enchaîné avec Le Grand rôle, avec Stéphane Freiss et Bérénice Bejo puis Cavalcade dans lequel jouait Marion Cotillard… ».

Il n’est pas un artiste mis en scène par vos soins qui ne loue vos qualités humaines…

J’ai mis en scène soixante-dix pièces et monté deux opéras. Mon seul souhait : mettre les mots et les acteurs en avant sans voir des tics de mise en scène. Mon travail consiste à accompagner les acteurs sur chaque respiration, sur chaque ponctuation, sur chaque mot. J’essaie de les mettre nus face à leurs maladresses et leurs faiblesses de façon à ce qu’ils soient sincères et vrais. Francis Huster n’a pas hésité à remettre en question ses quarante ans de carrière pour jouer devant les jeunes générations. Son jeu est maintenant beaucoup plus intériorisé et naturel, montrant ses fragilités.

Vous semblez très attaché à vos racines, à ce quartier…

J’entretiens une relation fusionnelle avec Paris en général et, en particulier, avec le 9e arrondissement où je suis né. Levé tous les jours à 4 h 30, je me balade chaque matin dans Paris à l’aube avant de me rendre, vers 5 h, à mon bureau, situé à trois minutes de chez moi, . Sinon, j’adore y déambuler aussi le soir, en sortant du théâtre. J’ai alors l’impression que la ville est à moi. Dès que j’ai besoin de prendre une décision, quelle que soit l’heure, je sors marcher dans la capitale. Mes quartiers de prédilection ? Le passage des Panoramas, le jardin du Palais-Royal, Le Folie’s café de mon enfance, d’où, gamin, je regardais les danseuses sortir des Folies Bergère. Dès que je sors de Paris, je suis en manque au bout de trois jours et lorsque j’arrive aux abords du Faubourg-Montmartre, je sais que je suis rentré à la maison. J’ai habité vingt-trois appartements différents avant de revenir dans le 9e il y a cinq ans. Lorsque je l’ai quitté, mon quartier ressemblait à un film de Scorsese. Maintenant, il est envahi par les bobos !

À quoi ressemblent vos dimanches dans la capitale ?

À cinq ou six heures de travail sans être dérangé par le téléphone, à un brunch et à une promenade avec mon fils de 13 ans, à une virée en moto, mon moyen de transport favori.

Vos parents doivent être très fiers de vous ?

Il y a quelques semaines, j’ai surpris ma mère en train de regarder mon nom en lettres de néon rouge qui illuminait la façade du théâtre des Variétés où j’ai mis en scène À droite, à gauche, la pièce de Laurent Ruquier. Elle est bien restée là, immobile, pendant une demi-heure, et s’est mise à pleurer.

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  • Naissance à Paris
  • Passe l’examen de la classe libre du cours Florent
  • Crée sa maison de production Les Films de L’espoir, commence à produire des pièces de théâtre comme Le Baiser de la veuve d’Israël Horowitz ou Pieds nus dans le parc de Neil Simon
  • Écrit avec Marc Esposito le scénario de son premier film L’Envol inspiré de sa propre vie
  • Sort son second film en tant que réalisateur : Le Grand rôle avec Stéphane Freiss et Bérénice Bejo
  • Sort son troisième film : Cavalcade avec Marion Cotillard et Richard Bohringer
  • L’ancien élève de Francis Huster va devenir son metteur en scène attitré. Environ quinze spectacles vont être montés au Théâtre Rive Gauche parmi lesquels Le Journal d’Anne Frank et L’affrontement
  • Steve met en scène des acteurs parmi lesquels Jean-Claude Dreyfus,Claire Keim, Michel Sardou,Clémentine Célarié ainsi que la danseuse Marie-Claude Pietragalla. Il dirige également Le Mystère Bizet à l’Opéra Bastille et La Flûte enchantée de Mozart dans le cadre du festival des opéras en plein air
  • Signe la mise en scène de la nouvelle pièce de Laurent Ruquier À droite, à gauche avec Francis Huster et Régis Laspales au théâtre des Variétés
Par Caroline Rochmann. Photos : Stéphanie Slama - Publié le

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