Alors qu’on vous aperçoit lors des événements que vous parrainez, notamment le Chantilly Arts & Elegance dédié à l’automobile, vous accordez moins d’entretiens sur votre maison. À quoi cette discrétion récente est-elle due ?
Dans les interviews, j’ai toujours essayé de ne pas me répéter, de ne pas être langue de bois non plus, de refuser les propos calibrés, marketés. En homme libre, je veux pouvoir m’exprimer comme je le souhaite. Or, à un moment, j’ai eu une overdose d’entretiens ; j’en sortais mécontent de verser dans ce travers qui m’agace : la redite. Comme je ne suis pas en quête de notoriété personnelle ; que je cherche à privilégier la maison – dont le nom doit devenir une marque et ne pas être uniquement rattaché à un homme –, que je souhaite laisser plus de place à mes enfants, qui font déjà partie de la société, ainsi qu’à mon copain et co-actionnaire Dominique Guenat et à ses propres enfants, j’ai décidé de prendre du recul médiatique. Je suis toujours passionné, toujours impliqué et m’investis totalement bien sûr, mais autrement. Tout en restant aux commandes de la maison, j’apprends à déléguer et j’organise ma vie comme j’ai toujours rêvé de le faire : en toute liberté. Savoir garder du temps pour soi et d’autres choses, n’est-ce pas le luxe total ? Et le meilleur moyen de se renouveler ?
Le luxe total, pour une maison horlogère, est-ce d’avoir plusieurs années d’avance de commandes ?
Oui… et non. Oui, car la demande pour nos modèles ne cesse de croître, ce qui nous réjouit et nous rend fiers, alors que la production s’avère, technicité des montres oblige, plus lente. Non, car avoir des boutiques aux vitrines presque vides par manque de montres en stock s’avère frustrant. Reste que le succès est très agréable, c’est évident, surtout quand on ne l’imaginait pas aussi puissant et régulier. Année après année, nous avons plus de clients acheteurs que de garde-temps produits. L’an dernier le volume était de 4 600 exemplaires alors qu’on pourrait vendre plus du double. Cette pénurie n’est ni voulue, ni entretenue mais fait partie de notre statégie initiale d’avoir une production limitée et exclusive. En fait, je suis gêné de cette réalité même si elle permet de gérer la croissance – c’est essentiel pour une société indépendante – et d’éviter l’écueil de la surproduction qu’ont connu certains confrères. C’est l’effet ciseau entre une technologie hautement exigeante, une production qui doit sortir des modèles impeccables (pour comprendre, sachez que certains boîtiers demandent plus de deux cents opérations d’usinage si délicates qu’il y a parfois 40 % des composants qui sont rejetés) et des clients qui se multiplient partout… Aussi bien en Asie du Sud-Est qui représente 30 % de notre chiffre d’affaires, qu’en Europe et au Moyen Orient (30 % aussi), en Amérique (idem) ou au Japon qui atteint 10 %.
Quelle est la recette magique pour obtenir un tel succès ?
Il n’y a pas de recette, mais, à la base, une intuition : je voulais faire ce que j’aime, sans me plier à des analyses marketing qui m’auraient assuré qu’un nom inconnu proposant des montres à 200 000 euros irait droit dans le mur. En me lançant en indépendant, avec mon nom comme marque – non par ego mais par simplicité – je cherchais une liberté horlogère totale permettant une créativité radicale. Ce qu’aucune étude de marché n’aurait validé, notre démarche n’entrant dans aucune case dite rationnelle pour des personnes atteintes d’une sorte de conservatisme reproducteur. Aujourd’hui nous avons un public masculin et féminin allant de 17 à 50 ans et plus, un éventail de modèles avec au sommet nos montres tourbillons très haut de gamme à durée de vie limitée avec des développements spécifiques qui coûtent plus de 500 000 €. Cette gamme représente entre 350 et 400 montres par an. Tandis qu’à côté, il y a les séries pérennes, moins coûteuses qui autorisent une grande liberté d’expression… Les modèles à venir ont chacun leur identité tout en préservant ce qui fait la spécificité de la maison, la cohérence globale étant essentielle à mes yeux. Que l’on sorte un Tourbillon à rattrapante RM 50-04 avec le grand pilote de F1 Kimi Räikkönen qui rend hommage à son écurie Alfa Romeo Racing Team, que l’on travaille à un projet avec Pharrell Williams (oui, c’est un scoop mais je ne vous en dirai pas plus), que l’on présente un bracelet en Carbone TPT® ayant nécessité treize mois de mise au point, comprenant 200 composants, ne pesant que 29 grammes, destiné d’abord au modèle féminin, la RM 07-01 en Carbone TPT®, ou que l’on poursuive la lignée de la collection Bonbon pensée par Cécile Guenat… se fait toujours avec la même ligne de conduite : marier audace, inventivité, technique et matériaux de pointe. Et y ajouter le plaisir de surprendre et bousculer les codes tout en offrant (façon de parler bien sûr) une expérience horlogère unique.