Interview

Richard Mille « La liberté d’être indépendant, un luxe absolu »

Les créations hors normes et high-tech Richard Mille donnent l’heure dans toutes les grandes villes du globe, dont Paris, avec une prestigieuse adresse au 17 avenue Matignon. Richard Mille, très sollicité par la presse pour défendre les réalisations de sa maison, souhaite désormais se faire plus discret auprès des médias. Mais pour Paris Capitale, le fondateur inventif et iconoclaste a dérogé à la règle et a accepté de se confier. Avenir, créativité, amis de la marque, modèles… conversation chaleureuse à bâtons rompus.

 

 

Richard Mille

17, avenue Matignon, 75008, Paris Tel : 01 40 15 10 00 www.richardmille.com
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Alors qu’on vous aperçoit lors des événements que vous parrainez, notamment le Chantilly Arts & Elegance dédié à l’automobile, vous accordez moins d’entretiens sur votre maison. À quoi cette discrétion récente est-elle due ?

Dans les interviews, j’ai toujours essayé de ne pas me répéter, de ne pas être langue de bois non plus, de refuser les propos calibrés, marketés. En homme libre, je veux pouvoir m’exprimer comme je le souhaite. Or, à un moment, j’ai eu une overdose d’entretiens ; j’en sortais mécontent de verser dans ce travers qui m’agace : la redite. Comme je ne suis pas en quête de notoriété personnelle ; que je cherche à privilégier la maison – dont le nom doit devenir une marque et ne pas être uniquement rattaché à un homme –, que je souhaite laisser plus de place à mes enfants, qui font déjà partie de la société, ainsi qu’à mon copain et co-actionnaire Dominique Guenat et à ses propres enfants, j’ai décidé de prendre du recul médiatique. Je suis toujours passionné, toujours impliqué et m’investis totalement bien sûr, mais autrement. Tout en restant aux commandes de la maison, j’apprends à déléguer et j’organise ma vie comme j’ai toujours rêvé de le faire : en toute liberté. Savoir garder du temps pour soi et d’autres choses, n’est-ce pas le luxe total ? Et le meilleur moyen de se renouveler ?

Le luxe total, pour une maison horlogère, est-ce d’avoir plusieurs années d’avance de commandes ?

Oui… et non. Oui, car la demande pour nos modèles ne cesse de croître, ce qui nous réjouit et nous rend fiers, alors que la production s’avère, technicité des montres oblige, plus lente. Non, car avoir des boutiques aux vitrines presque vides par manque de montres en stock s’avère frustrant. Reste que le succès est très agréable, c’est évident, surtout quand on ne l’imaginait pas aussi puissant et régulier. Année après année, nous avons plus de clients acheteurs que de garde-temps produits. L’an dernier le volume était de 4 600 exemplaires alors qu’on pourrait vendre plus du double. Cette pénurie n’est ni voulue, ni entretenue mais fait partie de notre statégie initiale d’avoir une production limitée et exclusive. En fait, je suis gêné de cette réalité même si elle permet de gérer la croissance – c’est essentiel pour une société indépendante – et d’éviter l’écueil de la surproduction qu’ont connu certains confrères. C’est l’effet ciseau entre une technologie hautement exigeante, une production qui doit sortir des modèles impeccables (pour comprendre, sachez que certains boîtiers demandent plus de deux cents opérations d’usinage si délicates qu’il y a parfois 40 % des composants qui sont rejetés) et des clients qui se multiplient partout… Aussi bien en Asie du Sud-Est qui représente 30 % de notre chiffre d’affaires, qu’en Europe et au Moyen Orient (30 % aussi), en Amérique (idem) ou au Japon qui atteint 10 %.

Quelle est la recette magique pour obtenir un tel succès ?

Il n’y a pas de recette, mais, à la base, une intuition : je voulais faire ce que j’aime, sans me plier à des analyses marketing qui m’auraient assuré qu’un nom inconnu proposant des montres à 200 000 euros irait droit dans le mur. En me lançant en indépendant, avec mon nom comme marque – non par ego mais par simplicité – je cherchais une liberté horlogère totale permettant une créativité radicale. Ce qu’aucune étude de marché n’aurait validé, notre démarche n’entrant dans aucune case dite rationnelle pour des personnes atteintes d’une sorte de conservatisme reproducteur. Aujourd’hui nous avons un public masculin et féminin allant de 17 à 50 ans et plus, un éventail de modèles avec au sommet nos montres tourbillons très haut de gamme à durée de vie limitée avec des développements spécifiques qui coûtent plus de 500 000 €. Cette gamme représente entre 350 et 400 montres par an. Tandis qu’à côté, il y a les séries pérennes, moins coûteuses qui autorisent une grande liberté d’expression… Les modèles à venir ont chacun leur identité tout en préservant ce qui fait la spécificité de la maison, la cohérence globale étant essentielle à mes yeux. Que l’on sorte un Tourbillon à rattrapante RM 50-04 avec le grand pilote de F1 Kimi Räikkönen qui rend hommage à son écurie Alfa Romeo Racing Team, que l’on travaille à un projet avec Pharrell Williams (oui, c’est un scoop mais je ne vous en dirai pas plus), que l’on présente un bracelet en Carbone TPT® ayant nécessité treize mois de mise au point, comprenant 200 composants, ne pesant que 29 grammes, destiné d’abord au modèle féminin, la RM 07-01 en Carbone TPT®, ou que l’on poursuive la lignée de la collection Bonbon pensée par Cécile Guenat… se fait toujours avec la même ligne de conduite : marier audace, inventivité, technique et matériaux de pointe. Et y ajouter le plaisir de surprendre et bousculer les codes tout en offrant (façon de parler bien sûr) une expérience horlogère unique.

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Ce clin d’œil à l’enfance avec la collection ludique Bonbon a surpris et étonné. Une volonté de la maison ?

Depuis le début, nous avons toujours été des olibrius, des enfants espiègles qui présentaient autre chose que des modèles classiques, voire compassés. Quand on crée, il faut se lâcher, avoir l’esprit frais, débridé, ne camper ni sur ses positions ni afficher de la suffisance, sinon on fait la même chose qu’avant ou que les autres. La passion est notre mode de penser, de vivre, alors lançons-nous. La collection imaginée par Cécile Guenat entre dans cette vision. Ces dix modèles, édités chacun à 30 exemplaires, permettent à la fois de revisiter des montres iconiques (comme les RM 07-03, RM 16-01 et RM 37-01), mais aussi d’inviter chacun à replonger en enfance en savourant une tendre régression. Ces créations pourraient paraître simples à réaliser mais, comme tous nos modèles, elles ont été délicates à fabriquer. Les “sucreries” variées qu’elles intègrent – réglisse, marshmallow, sucette, cupcake… – sont certes des “douceurs” ludiques qui donnent du peps’ et de l’acidulé au temps, mais surtout de toutes petites pièces en émail ultra complexes à créer et poser dans le mécanisme. Qu’importe : on a pris grand plaisir à relever ce défi, à voir aussi l’accueil du public découvrant ces modèles unisexes. La singularité de la collection renforce notre gamme féminine ; où nous avons récemment associé, par exemple, l’audace technique et la recherche esthétique dans la RM 07-02 Saphir Serti.

Vous parliez de passion, tout à l’heure. Le sport – les sports – que vous mettez en avant est-ce incontournable pour une marque comme Richard Mille ?

À l’origine, le sport a été une manière de présenter notre art de la performance, de la précision, et de démontrer sur le terrain la résistance de nos montres ainsi que notre capacité de réponse aux spécificités de certaines disciplines. La création, en outre, d’une légitimité non artificielle. En combinant deux difficultés antagonistes : la complexité extrême et l’infiniment petit. Le tennis, le golf, de très haut niveau, il était jusqu’alors impossible de les pratiquer intensément avec des montres mécaniques capables de résister aux chocs et qui ne perdent ni leurs moyens ni leurs performances. En relevant ces défis, la maison a apporté la preuve de sa différence et de sa raison d’exister. Avec les années notre palette de savoir-faire n’a cessé de s’enrichir. La conception de modèles avec et pour de grandes figures – le pilote Felipe Massa, le sprinter Yohan Blake, l’as du polo Pablo Mac Donought, etc. – l’a renforcée tout en créant des relations amicales rares. Les joueurs qui travaillent avec nous et portent nos modèles de manière officielle ne sont pas des “ambassadeurs” – je n’aime pas le terme car il est détaché des sentiments et cache parfois des attachements plus commerciaux que réels – mais de vrais pros, des amis de la marque. Comme la golfeuse Nelly Korda et l’athlète catalane Maria Vicente qui portent une RM 007 Titane, le pilote de F2 Mick Schumacher, l’ex-footballeur Didier Drogba. Quand Rafael Nadal explique que sa Richard Mille est une seconde peau dont il ne peut se passer, à la ville comme sur les courts, ce n’est pas du bla-bla, c’est vraiment sincère. Or, à mes yeux, il n’y a rien de plus beau, fort et noble que la sincérité. Comme je crois l’avoir fait avec vous au fil de cet entretien n’est-ce pas (rires) ?

Par Thierry Billard et David Slama. Photos : Wee Khim / Getty Images / - Publié le
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