Sarah Bernhardt Icône d'hier et d'aujourdhui
C’était il y a cent ans, mais cela aurait pu être hier. Le 22 mars 1923,Sarah Bernhardt expirait, dans son bel hôtel particulier du boulevard Péreire dans le 17e, et le Tout-Paris vint la voir sur son lit de mort. En attendant que 800 000 amoureux de la “Divine Sarah” ne suivent le cortège funèbre quelques jours plus tard…Pourquoi Sarah Bernhardt, actrice de théâtre ayant laissé peu de traces filmées est-elle toujours aussi célèbre ? Parce qu’elle avait tout compris des codes de la réussite et du “faire savoir”.En cela, elle est aussi une icône de notre époque.Alors, jouons au petit jeu des comparaisons et des familles.
Son enfance est instable, elle ne vivra jamais avec son père et sa mère l’envoie en nourrice, puis en pension. En ce sens, elle n’est pas loin d’avoir eu la jeunesse d’une Marilyn Monroe teintée de Lady Gaga, qui, comme elle, a grandi dans un pensionnat catholique, où elle se découvre des envies de chanter.Sarah, elle, voit son premier spectacle de théâtre à l’âge de 15 ans, admire Britannicus quinze fois à la Comédie-Française, apprend des pièces par cœur, et décide que c’est là qu’elle sera la plus grande. Dès ses débuts, elle a un mentor, le duc de Morny,qui pressent son talent et la fait entrer au Conservatoire d’Art Dramatique puis à la Comédie-Française. Céline Dion aussi, a eu un mentor, qui s’appelait René Angélil… À la Comédie-Française, Sarah fait ses débuts dans Iphigénie, rien de moins. Elle a 18 ans. Tout comme une certaine Isabelle Adjani lorsqu’elle y incarne Agnès dans L’École des Femmes de Molière, rôle qu’a joué Sarah pour son entrée au Conservatoire…Là, il faut du cran pour trouver une artiste aussi culottée que Sarah, jeune débutante, qui flanque une gifle magistrale à la grande star du moment au Français, parce qu’elle a mal parlé à sa petite sœur… Sarah se fait renvoyer pour mieux triompher au théâtre de l’Odéon. C’est là qu’elle séduit un public de choix : les étudiants, qui la portent en triomphe dans le quartier. Quand une artiste plaît aux jeunes, l’affaire est gagnée.Brigitte Bardot l’avait bien compris… les rappeurs et les influenceurs aussi !
Sarah, une gloire qui ne s’éteindra jamais
Dès lors, c’est pour Sarah B. le début d’une gloire qui n’allait jamais s’éteindre. Elle va diriger des théâtres, jouer 167 rôles dans sa vie, de Jeanne d’Arc la pucelle à la séductrice Dame aux Camélias, de la reine dans Ruy Blas à l’Aiglon ou Hamlet lui-même, jouant ainsi des rôles d’homme avec conviction. Elle connaît des succès mirobolants, prend des bides aussi, mais ne cessera jamais d’être adulée. Parce qu’elle a une “Voix d’or”, une présence scénique incroyable, mais aussi parce qu’elle sait faire parler d’elle. Sarah joue comme elle vit : avec excès, grandeur, folie, passion. Elle aime le théâtre, elle aime les hommes. Elle sait les aimer, elle sait s’en servir. Elle aime son partenaire de scène (le grand Mounet-Sully, et le public adorera ce couple sur scène et à la ville), un influent critique de théâtre (Francisque Sarcey), mais aussi Victor Hugo ou
Edmond Rostand, qui écrira, transi d’admiration, La Samaritaine et L’Aiglon pour elle. Elle profite de quelques grands hommes influents, comme Charles Haas, qui inspirera le personnage de Swann chez Proust. Au fil du temps, Sarah prend des amants de plus en plus jeunes et cela ne choque personne. Pierre Loti, amoureux déçu, lui dédicace un ouvrage ainsi : « À Madame Sarah Bernhardt, alternative- ment dominatrice et repentante, mais il semble qu’elle soit plus sincère dans l ’amitié que dans l ’amour. Tel Don Juan, elle est perpétuellement en quête de nouvelles conquêtes, qu’elle quitte ensuite rapidement pour passer à d’autres aventures. » On dédicacerait la même chose à Madonna… Ou Édith Piaf.
Hier, Sarah divulguait à la presse ses lettres de protestation, aujourd’hui, elle serait à fond sur les réseaux sociaux. Sur Twitter pour s’agacer, sur Instagram pour se montrer sur scène, dans sa loge somptueuse, mais aussi chez elle se faisant des selfies face… à elle-même puisque tant de peintres, photographes (comme Nadar) et dessinateurs (tel l’affichiste Mucha) ont tiré d’elle des portraits montrant une femme très belle, très mince, à l’ample chevelure rousse et toujours vêtue de robes longues qui lui couvrent le cou et les bras. Elle aime le blanc, et les innombrables bijoux précieux ou de pacotille. Sarah a le sens du look, de la mode, et de la mise en scène de soi, si chère aux Youtubeuses et TikTokeuses. Mais laquelle d’entre elles oserait poser… dans un cercueil ? Sarah, fascinée par la mort, se repose souvent dans un cercueil offert par un fan, qui trône dans son salon et sera celui de ses funérailles.
Quand elle n’apprend pas ses rôles, elle caresse ses animaux : six caméléons, un guépard, un crocodile, des perroquets, un singe et même des lionceaux qu’elle emmène au théâtre. Sarah se fera connaître par ses tournées en Europe, en Amérique, en Australie. Elle va aux États-Unis en paquebot puis en train de luxe spécialement aménagé pour elle. De nos jours, elle voyagerait… en jet privé. À la Rihanna et autres Beyoncé… Aux États-Unis, Sarah devient une marque. On achète un savon, une poudre de riz, des gants et même un cigare Sarah Bernhardt. Des produits dérivés, dirait-on aujourd’hui. Sarah la richissime est aussi une femme engagée, soucieuse de visiter les usines, défendant les passagers pauvres des paquebots, et patriote jusqu’au bout de sa santé, chantant La Marseillaise chaque soir et passant son diplôme d’infirmière lors de la guerre de 1870, défendant Dreyfus, et partant jouer – comme plus tard Marilyn Monroe ou Marlène Dietrich – sur le front en 1917, alors qu’elle s’est fait amputer d’une jambe, et se déplace sur une chaise à porteur, dernier trône d’une reine immortelle…