Votre cuisine s’appuie sur les savoir-faire de la haute gastronomie française tout en puisant dans ses racines méditerranéennes. Comment la définissez-vous ?
Philip Chronopoulos : Elle est très personnelle, elle raconte une histoire, elle traduit d’où l’on vient mais subtilement, par une utilisation bien dosée de produits grecs en ce qui me concerne. Il faut que cela reste une évocation légère, que ce ne soit pas trop évident, au Palais Royal Restaurant comme au Nolinski.
Adam Bentalha : Notre particularité à tous les deux est d’avoir fait nos armes dans de grandes maisons françaises, où nous avons appris les traditions et la culture gastronomique hexagonales, mais nos origines méditerranéennes, algériennes pour moi, nous ont permis de créer notre identité, notre signature. Pour ma part, c’est une cuisine d’instinct, qui colle aux attentes des clients du Brach et du Sinner. Je m’adapte à l’air du temps et à la saisonnalité,
je m’attache à faire des choses simples, bonnes, basées sur le produit et à assurer un service impeccable à une clientèle exigeante.
Qu’est ce qui vous inspire lorsque vous créez un plat ?
Philip Chronopoulos : Le produit de saison d’abord, qui va déterminer l’idée. Je ne pose aucune barrière à ma créativité, et selon moi, c’est cette liberté assumée qui nous a permis, avec mon équipe, d’obtenir cette année une seconde étoile au Michelin pour le Restaurant du Palais Royal. Un processus qui prend du temps, qui vient avec l’expérience, la maturité et la stabilité d’une bonne équipe.
Adam Bentalha : Notre ambition est de créer des marques très identifiées chez Evok. Pour le Sinner par exemple, dans le Marais, je me suis évidemment inspiré du quartier, de la décoration de Tristan Auer et du cahier des charges de notre directeur général Emmanuel Sauvage pour élaborer une cuisine de partage, de tribu, nomade, très ritualisée, dans laquelle percent mon identité et mes origines nord-africaines.
Qu’apporte la gastronomie à un hôtel, et en particulier aux établissements Evok ?
Adam Bentalha : Le restaurant c’est le poumon de l’hôtel, sa respiration, son centre nerveux, un lieu de rencontre. Autrefois il était complémentaire de l’hôtel, c’était un service, une facilité pour le client. Aujourd’hui, il est une force d’attraction pour la clientèle.
Philip Chronopoulos : Selon moi, le restaurant donne son identité à l’hôtel. D’ailleurs pour le Nolinski Venise, qui ouvrira ses portes en mars 2023, nous nous adaptons à une ambiance et une clientèle très différentes de l’établissement parisien par une double offre de restauration : spécialités italiennes et restaurant gastronomique.
Qu’est-ce qu’un décor apporte à la cuisine, à l’expérience vécue dans le restaurant ?
Adam Bentalha : C’est presque la décoration qui détermine le fil conducteur de la cuisine. Au Brach, Philippe Starck a choisi des matériaux nobles et bruts, bois,
laiton, cuivre, marbre, dans des tonalités chaudes. Ma cuisine est à l’avenant, chaleureuse, colorée, servie dans des assiettes bigarrées, dressée sur du marbre ou du bois d’olivier.
Philip Chronopoulos : On a beaucoup de chance de travailler dans des lieux inspirants, en phase avec une époque très visuelle. En cuisine aussi, le visuel précède aujourd’hui la dégustation. Avant de goûter leur plat, les convives le photographient et le postent sur les réseaux sociaux. Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, l’assiette doit aujourd’hui être “instagramable”.
Adam Bentalha : Même si le goût est extrêmement satisfaisant, il faut exceller dans le dressage et vivre avec cette époque qui veut qu’avant de satisfaire le goût, on doive provoquer une émotion visuelle.
C’est quoi un repas réussi ?
Philip Chronopoulos : C’est un repas qui vous laisse un souvenir, quelque chose d’inoubliable qui vous rappellera éternellement une sensation, une émotion.
Adam Bentalha : Ma cuisine, je veux qu’elle provoque comme un électrochoc, qu’elle marque le client par un assaisonnement, une sauce, une acidité… Pour moi, un repas réussi, c’est lorsque le client revient.
Quel lien entretenez-vous avec vos brigades ?
Adam Bentalha : Il existe un vrai lien d’amitié avec mes collaborateurs, qui me suivent depuis une quinzaine d’années. C’est un métier chronophage, de sacrifices, on passe presque plus de temps ensemble qu’avec nos familles respectives. Le terme brigade, très militaire, nous représente bien : on marche ensemble, on tombe ensemble, on se relève ensemble, on s’entraide, le tout dans la joie et la bonne humeur.
Et avec vos fournisseurs et producteurs ?
Philip Chronopoulos : Sans eux, rien n’est possible et chez Evok, nous privilégions le local, les produits français, à quelques exceptions près. Pour le Palais Royal Restaurant je travaille avec Terroirs d’Avenir qui source des produits exceptionnels issus de l’agriculture paysanne et de la pêche durable et qui a une connaissance très fine de ses producteurs. Cela permet d’adapter la carte aux arrivages. La saisonnalité donne vraiment le ton des menus.
Adam Bentalha : Ce ne sont pas des fournisseurs mais des partenaires, des gens inspirants, passionnés par le métier, aux pratiques de plus en plus écologiques avec lesquels on travaille main dans la main. Ils font partie de l’équipe, ils comprennent notre philosophie, notre ADN, nos besoins.
Qu’allez-vous proposer pour les fêtes de fin d’année ?
Philip Chronopoulos : Tout n’est pas absolument défini, mais j’ai des idées. Il y aura de la langouste, du bar, exclusivement de bons produits que les clients goûtent avec passion.
Adam Bentalha : Notre point fort ce sont les brunchs opulents du Brach, souvent complets 15 jours à l’avance, qui déclinent une cuisine de soleil. Pour le nouvel an, nous proposons un joli brunch festif avec tous les produits ad hoc, truffe, huîtres, pâtés en croûte, homard, saint-jacques… tout ce qui fait le sel des fêtes.
Ça dort un chef de temps en temps ?
Adam Bentalha : On travaille dans un groupe qui nous permet d’avoir une vie personnelle équilibrée en plus d’une vraie stabilité professionnelle. C’est aussi très épanouissant pour les équipes, qui sont en forme, contentes de
travailler, et cela se ressent dans l’assiette.
Philip Chronopoulos : J’ai deux enfants dont un de 18 mois. C’est lui qui décide si j’ai le droit de dormir ou pas !