Interview

Isabelle Boulay Mes vérités en chansons

Elle est sans aucun doute la plus parisienne des chanteuses québécoises, peut être parce qu’elle possède depuis longtemps un pied-à-terre dans la capitale. Chaleureuse, attachante, spontanée et attentive, Isabelle Boulay vous donne rapidement l’impression d’être votre amie. De passage à Paris pour assurer la promotion de son quinzième album En vérité, réalisé par Benjamin Biolay, elle sera à l’Olympia le 18 octobre avant d’entamer une tournée dans toute la France.

Isabelle, vous semblez tellement à l’aise dans la capitale que beaucoup de Français vous croient complètement Parisienne…

(Rires) Oui, je sais, mais ce n’est pas vrai ! Je continue à passer au Québec plus de la moitié de l’année, d’abord parce que Marcus, mon fils de huit ans, est scolarisé là-bas ! Je suis tombée amoureuse de Paris lorsque j’ai repris le rôle de Marie-Jeanne dans Starmania, il y a plus de 20 ans. J’avais alors élu domicile dans le 17e arrondissement, quartier auquel je suis très attachée puisque c’est toujours là que je vis aujourd’hui ! Je l’aime beaucoup, j’apprécie à la fois son côté effervescent et rassurant. J’adore le marché Poncelet, le parc Monceau, la rue d’Armaillé : je suis capable de marcher de la place des Ternes aux Batignolles ! Parce que je suis une fille très casanière, j’aime l’idée d’avoir “mon nid” dans la capitale. C’est tellement bon de rentrer chez soi, tellement plus agréable qu’une chambre d’hôtel impersonnelle !

À un moment donné, vous disiez habiter à Paris dans deux lieux différents. Dans votre appartement et un autre endroit que vous appeliez votre garçonnière…

Oh la la attention ! Pour moi, le mot garçonnière n’avait pas du tout le sens que vous lui donnez en France ! J’entendais par garçonnière, un lieu où j’allais me ressourcer et où personne n’avait le droit d’entrer. J’ai toujours ressenti le besoin d’avoir un espace rien que pour moi, en dehors du cocon familial, où je pouvais m’isoler et laisser l’eau remonter dans le puits. J’exerce un métier très prenant, avec ses codes et ses lois, qui nécessite une bonne résistance au stress. Aujourd’hui, cette ancienne garçonnière est devenue à Paris mon lieu principal d’habitation. Il m’est précieux et essentiel. C’est là que je reprends mon souffle. La fille d’intérieur que je suis s’échappe mentalement par ses fenêtres qui donnent sur le ciel de Paris.

Devons-nous comprendre que vous pouvez passer des journées sans sortir de chez vous ?

Non, pas du tout. Mais ce qui est vrai, c’est que je fréquente toujours les mêmes lieux, les mêmes boutiques, les mêmes restaurants qui sont dans ma tête des annexes de ma maison. J’éprouve quand même le besoin de me nourrir de la vie des autres, du bruit de la vie.

Il y a quelques années, vous disiez volontiers être assez dépensière. Une revanche sur une enfance où l’argent faisait parfois défaut ?

Mes parents tenaient un petit bar restaurant à Sainte- Félicité, en Gaspésie où je suis née. Il est vrai que chez nous, le superflu n’existait pas et que c’était ma mère qui me confectionnait mes vêtements. Alors, quand je suis devenue célèbre j’ai été prise d’une sorte de boulimie de consommation. Maintenant, je me suis calmée et j’ai appris à profiter de ce que j’ai déjà sans vouloir à chaque fois acquérir de nouvelles choses. Je dépense mon argent beaucoup mieux qu’avant, même si j’ai toujours la passion des chaussures et des sacs.

Vous faites allusion au petit bar de vos parents. Là où pour vous tout a commencé…

Je n’étais qu’une enfant lorsque j’ai commencé à chanter dans le bar de mes parents. Il était situé dans un quartier très populaire et la clientèle était essentiellement composée d’hommes. Je chantais avant tout pour apporter du réconfort aux gens qui étaient là, pour les aider à relever la tête. J’ai vu beaucoup d’hommes pleurer dans ce bar parce qu’ils venaient de perdre leur travail. Je chantais pour partager et soulager la détresse humaine que je ressentais chez ces gens-là. Aujourd’hui encore, quand je monte sur scène, j’ai toujours l’intention de soulager les gens. Comme si chanter constituait une sorte de remède. Faire du bien aux autres est la seule chose qui m’intéresse.

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Vous avez été élevée essentiellement par des femmes au caractère très fort…

Ma mère travaillait énormément et n’avait pas beaucoup de temps pour s’occuper de nous. Toutes les femmes étaient très fortes dans ma famille, essentiellement ma grand-mère paternelle qui avait une force de caractère incroyable et est certainement la femme qui m’a le plus marquée. Elle a même eu le courage de faire interner son mari, atteint de troubles mentaux, ce qui était peu courant à l’époque ! C’est elle qui m’a essentiellement élevée, secondée par ma tante Adrienne, la vieille fille de la famille qui écoutait du Country en boucle toute la journée ! Ma grand-mère me répétait souvent : « J’espère que tu ne feras pas comme nous autres. Il faut que tu aies un métier. Que tu ne dépendes pas d’un homme. Et s’il faut que tu partes d’ici, tu partiras. » J’ai suivi ses conseils en quittant la maison familiale à 16 ans pour me réaliser en tant qu’artiste. Je suis allée vivre à Québec avec ma tante Suzy, la sœur de ma mère qui m’a servi de nounou lorsque j’étais petite et qui, aujourd’hui, tient le même rôle auprès de mon fils lorsque je suis en tournée. J’ai toujours été entourée de femmes plus âgées que moi. D’ailleurs, mes amies sont les mêmes depuis très longtemps et leur âge s’échelonne de 50 à 95 ans ! Il est important pour moi d’avoir des figures auxquelles je puisse me référer. Peut-être cela vient-il de ce qu’enfant, j’étais essentiellement entourée d’adultes.

Vous évoquez votre petit garçon. Quel genre de maman êtes-vous avec lui ?

Comme je suis d’une nature très inquiète, il faut toujours que je le voie, que je sache où il se trouve. En même temps, j’essaie de ne pas le lui montrer, de lui laisser de la liberté pour ne pas l’étouffer et le rendre craintif. À sa demande et parce qu’il adore la musique – Marcus joue déjà du violon et du piano – je l’ai inscrit dans une école à vocation musicale où 40 % du temps est consacré à la musique et 60 % à l’enseignement traditionnel. Lorsque le métier me tient éloignée de lui, je lui téléphone au minimum deux fois par jour. J’ai renoncé à Skype parce que curieusement, le fait de me voir à l’écran le rendait encore plus triste. Marcus est au cœur de ma vie. Toutes mes décisions se prennent en fonction de lui et jamais je n’accepterai de concert, aussi prestigieux soit-il, qui m’obligerait à ne pas être avec lui durant les fêtes de Noël !

Pour votre nouvel album intitulé En vérité, vous vous êtes entourée de collaborateurs prestigieux : Julien Clerc, La Grande Sophie, Raphaël ou Carla Bruni…

En vérité c’est d’une certaine manière devenir capable de se voir tel que l’on est dans la clairvoyance et l’humilité. Un disque, c’est de l’artisanat. Il faut des années pour en faire un. En tant qu’interprète, je peux demander des chansons à des gens que j’apprécie. Il faut établir un lien de confiance avec eux. Julien Clerc, j’avais déjà travaillé avec lui sur d’autres albums. Carla Bruni, depuis Quelqu’un m’a dit, je rêvais de lui demander de m’écrire quelque chose, mais je ne la connaissais pas et ne savais pas comment m’y prendre. Le hasard a bien fait les choses, nous nous sommes croisées dans les coulisses du Téléthon. Je me suis dit : « Elle est en face de toi. C’est le moment. Vas-y. » Et là, petit miracle, c’est elle qui est venue vers moi, m’a pris les mains et m’a dit : « J’aime beaucoup votre voix et j’aimerais vous écrire une chanson. Une belle chanson. » J’ai pris ça comme un cadeau du ciel. Nous avons échangé nos coordonnées et elle a poursuivi : « Nous ne nous connaissons pas beaucoup. Je vais vous envoyer des choses. Je pense à un texte : Le Garçon triste. » Je ne savais pas ce que ça racontait, mais le titre me parlait. Quinze jours plus tard, je reçois la chanson. Carla parlait sur l’intro : « Coucou Isabelle ! Il pleut ici à Paris ! Écoute cette chanson. Si tu la trouves trop rapide, on peut ralentir. » J’ai écouté et c’était magnifique.

Aujourd’hui, en quoi peut-on dire que Paris vous a rendu différente ?

J’ai appris chez vous un art de vivre. J’y ai développé des réflexes européens que sont la recherche de l’esthétisme et celle de la beauté. Nous, nous vivons dans de grands volumes, mais notre connaissance est moindre dans les belles matières comme dans notre façon de gérer l’espace et d’aménager nos appartements. À chaque fois que je reprends l’avion pour le Québec, mes valises sont pleines de livres de décoration, de draps, de rideaux et de tissus. J’ai eu la chance d’avoir Christian Lacroix qui m’habillait, pour m’initier à la magie des étoffes. Disons que si chez nous, le plus agréable est notre douceur de vivre, l’art de vivre des Français est inégalable !

Isbelle Boulay interview exclusive Paris Capitale
Bio Express

Bio Express

  • Naissance à Sainte-Félicité au Québec. Elle est l’aînée d’une famille de trois enfants
  • Remporte le Festival en chanson de Petite-Vallée alors qu’elle s’apprêtait à aller étudier la littérature à Québec
  • Gagne le concours du Festival international de la chanson de Granby en interprétant Amsterdam de Jacques Brel. Un succès qui lui vaut d’être invitée aux Francofolies de Montréal
  • Luc Plamondon la remarque et lui confie le rôle de Marie-Jeanne dans son opéra rock Starmania. Un rôle qu’elle interprétera durant 350 représentations, avant de poursuivre sa carrière en solo
  • Remporte son plus gros succès en France avec l’album Mieux qu’ici bas disque de diamant, dont chacun se souvient du titre Parle moi. Jean-Jacques Goldman l’invite à rejoindre la troupe des Enfoirés
  • Naissance de son fils Marcus, né de son union avec le producteur de musique Marc-André Chicoine
  • Un nouvel album Chansons pour les mois d’hiver est sacré disque d’or
  • Vincent Vallières l’invite à partager la scène avec lui et l’orchestre symphonique de Montréal tandis qu’elle est nommée Chevalière de l’Ordre national du Québec
  • Sortie de son album Merci Monsieur Reggiani dont un million d’exemplaires sera vendu pour le seul Québec
  • Rencontre l’avocat Éric Dupond-Moretti dont elle devient la compagne
Par Caroline Rochmann. Photos : Claude Gassian - Publié le

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